Besancenot-Lafontaine, les faux jumeaux de la gauche de la gauche franco-allemande
Par Michel Verrier, mercredi 10 septembre 2008 à 23:15 :: Franco-Allemand :: permalien #65
Et pourtant quelle différence entre les deux.
C'est bien connu, Oskar Lafontaine est l'ex président charismatique du parti social démocrate, du SPD. Il a été la cheville ouvrière de son accès au pouvoir en 1998 avec le chancelier Schröder. Lafontaine a été ministre-président durant treize ans du Land de Sarre à Sarrebrück. Il est à la fois un vrai tribun populaire -"populiste" disent ses critiques- et un social-démocrate convaincu, partisan d'une politique sociale qui permet aux salariés de profiter de l'économie capitaliste de marché, institutionnalise la co-gestion de l'entreprise par ses détenteurs et les représentants du personnel. Lafontaine pourrait être réélu l'an prochain ministre président en Sarre. Il est actuellement président du groupe parlementaire de la Gauche au Bundestag. Il n'a jamais goûté les organisations révolutionnaires et son courant leur a même fait la chasse dans le cadre de la constitution du parti la Gauche, avec l'ex PDS.
Olivier Besancenot a évidemment une toute autre histoire politique. Il est issu de la "famille" trotskyste française, un courant dont l'influence est absolument incontestable depuis des décennies à gauche du parti socialiste et du PCF. Au sein de la jeunesse, dans l'enseignement, les grandes entreprises de la fonction publique ou du privé, les Trotskystes de la LCR notamment représentent un courant une tradition révolutionnaire mettant en cause l'économie capitaliste, la propriété privée des entreprises, économie sociale de marché ou pas. Une force qui n'existe pas en Allemagne, ou bien alors réduite à quelques petits groupes au sein du SPD ou même du parti la Gauche. Les organisations révolutionnaires allemande post 1968 sont plutôt d'origine maoistes.
Les acteurs de la révolution des années soixante-huit en Allemagne ont souvent rejoint le SPD, ou participé à la fondation du parti des verts.
Il est donc trompeur de comparer le développement de la gauche en Allemagne et les lendemains apparemment prometteurs du futur NPA de Besancenot.
Les politiques de ces deux forces d'ailleurs vis à vis du "principal parti de gauche", les sociaux démocrates, sont aux antipodes l'une de l'autre. Toute perspective d'alliance stratégique avec le PS, voire simplement d'alliance gouvernementale, ou même de force d'appoint d'une majorité de gauche dont le pilier serait le PS est absolument exclue pour la LCR et le futur NPA. C'est même ce qui fait l'un des critères de regroupement essentiel avec d'autres forces pour le courant que représente Besancenot. Toute illusion sur la possibilité d'une social démocratie défendant réellement les intérêts des ouvriers, des salariés est illusoire pour la LCR. La social démocratie n'est qu'un mandataire de la gestion de capital qui permet de faire avaler les pilules de l'austérité aux salariés. Le NPA a donc vocation à déblayer le terrain, à supplanter le parti socialiste pour reconstruire une vrai représentation des classes opprimées, qui renvoie la social démocratie à une phase dépassée du mouvement ouvrier. Une politique dont on trouve la critique dans l'Humanité. Ce n'est pas étonnant, le PCF en France est en effet le parti le plus proche de la Gauche allemande, pour des raisons historiques notamment. Le PDS à l'est de l'Allemagne, qui est avec le courant social-démocrate de Lafontaine à l'ouest, à l'origine du parti la Gauche, est issu du SED, l'ex parti communiste de l'ex RDA.
A l'inverse de la LCR/NPA, le courant d'Oskar Lafontaine est bien social démocrate, il s'est constitué à partir du SPD. Même si l'on trouve bien sûr dans le parti la Gauche, à l'ouest des courants d'extrême gauche, associatifs, contestataires, anti-globalisation. Mais pour l'essentiel la Gauche et le SPD sont en fait de la même chair, comme on dit ici. Klaus Ernst l'un des fondateurs de la Gauche à l'ouest de l'Allemagne et le bras droit de Lafontaine dans le projet de construction du parti la Gauche est un pilier du syndicat IG Metal en Bavières. Il a été membre du SPD pendant des dizaines d'années. Il est resté un social démocrate convaincu.
Lafontaine considère que le SPD a trahi son programme social démocrate, en adoptant une politique libérale pendant la période ou Schröder était chancelier, Steinmeier son bras droit et Müntefering le président du parti -c'est pourquoi il a claqué à l'époque la porte du gouvernement, dont il était ministre des finances. Mais le but de la Gauche n'est pas bien sûr d'éviter le SPD. Il est de construire une force qui le contraigne à évoluer, à revenir vers des positions traditionnelles de la social démocratie, contre le courant "schröderien". Lafontaine évoque cette perspective dans un récent interview au Frankfurter Rundschau.
La Gauche aspire en effet au retour au pouvoir dans les Länder ou à Berlin, dans le cadre d'une alliance avec le SPD, sur la base d'un programme social démocrate. Le SPD s'y refuse aujourd'hui sur le plan du gouvernement fédéral, il est prêt à nouer des alliances au niveau des Länder. La Gauche estime de son côté que le programme actuel du SPD ne lui permettrait pas actuellement de s'allier avec les sociaux démocrates. Mais c'est bien la perspective stratégique qui reste ouverte pour l'avenir. Lafontaine note lui même que la social démocratie allemande s'est déjà coupée en deux, dans l'entre deux guerre, pour les mêmes motifs qu'aujourd'hui, la participation à une guerre, et le programme social. Les deux partis de l'époque le SPD et l'USPD -ce qui serait la Gauche aujourd'hui- se sont rejoints ensuite. Rien à voir avec le PS et le NPA/LCR. Heiner Geissler, ex secrétaire général de la CDU, homme politique de référence en Allemagne et membre d'Attac aujourd'hui, prone même la fusion du SPD et du parti la gauche. Un défi intellectuel que la direction actuelle du SPD ne saura pas relever selon lui. Geissler rappelle que l'homme clé du SPD au lendemain de la guerre, avec Willy Brandt, Herbert Wehner, était membre du KP, le parti communiste allemand pendant la république de Weimar dans le Frankfurter Allgemeine,
On le voit, c'est souvent le cas d'ailleurs, les ressemblances à priori au sein du couple franco-allemand sont en fait lorsqu'on les analyse de près très éloignées.
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