Le dernier combat des déserteurs du IIIè Reich
Par Michel Verrier, mardi 8 septembre 2009 à 17:38 :: Mémoire :: permalien #120
Baumann a commencé son combat en 1942 en quelque sorte. Soldat dans la marine à Bordeaux, conscient de l'horreur de la guerre « qu'on nous faisait mener », il déserte avec un compagnon, Kurt Oldenburg. Les deux jeunes hommes veulent rejoindre l'Amérique en passant par la zone non occupée. Pincés à la frontière par une patrouille allemande ils sont jetés en prison, torturés, condamnés à mort..
Brisé, il remontera la pente en assumant son geste et en devenant le porte parole des déserteurs du Reich. Il recevra ses premiers soutiens au début des années quatre-vingt seulement, dans le « mouvement de la paix ».
Qu'il ait dû se dépenser pendant 65 ans pour obtenir gain de cause, montre combien le tabou de la légitimité de la Wehrmacht sous les ordres de Hitler, a été dur à vaincre. Les jugements des tribunaux du Reich (Volksgerichtshof) et des tribunaux nazis, avaient été abrogés en 1985 et 1998. Les condamnations contre les déserteurs, les objecteurs de conscience et les homosexuels furent levées en 2002, par une loi adoptée sous le gouvernement de Gerhard Schröder. Ludwig Baumann fut réhabilité. Mais les insoumis, les soldats condamnés à mort en tant que « traîtres à la patrie en temps de guerre (Kriegsverräter) » avaient été exclus du bénéfice de la loi. Leurs actes pouvaient avoir mis en danger les troupes allemandes et porté préjudice à leurs camarades de combat, estimait-on à l'époque.
Parmi les « criminels »: Johann Lucaschitz, un compagnon de misère de Baumann, exécuté pour n'avoir pas averti ses supérieurs de la « constitution en cours d'un conseil de soldats »; Adolf Pogede condamné à mort pour avoir noué contact avec des prisonniers soviétiques ; August Fierick exécuté en 1943 pour avoir joué aux cartes avec un prisonnier serbe; Michaël Fries, membre du parti communiste, dénoncé après avoir pris contact en France avec un émigré allemand, communiste lui aussi; Josef Salz exécuté en 1944 à Stettin pour avoir « mis en cause la confiance à l'égard du Führer » dans son carnet personnel. Tous avaient été condamnés par le tribunal militaire « pour avoir agi à l'avantage de l'ennemi et contre l'armée du Reich et ses alliés »
Plusieurs tentatives pour abroger ces derniers jugements en vigueur échouèrent au parlement face aux refus de l'Union chrétienne CDU/CSU et de son porte parole Norbert Geist. Spécialiste des questions judiciaires, il craignait qu'une abrogation générale ne se transforme en condamnation globale de la justice de la Wehrmacht . Il revenait donc à chaque rare rescapé ou à sa famille de faire la preuve de l'innocence du condamné.
Une logique que brisera l'historien Wolfram Wette, spécialiste du nazisme, dans son rapport présenté en 2006 au Bundestag. Il y démontre que les condamnations express avaient le plus souvent pour motifs des « futilités », sans que les familles aient quelque document disponibles pour le prouver aujourd'hui.
Le SPD lié à l'union chrétienne dans le gouvernement d'Angela Merkel, prendra finalement l'initiative en 2008 d'un projet de loi « au dessus des frontières des partis » qui débloquera les dernières résistances et devrait porter aujourd'hui ses fruits. Ludwig Baumann pourra enfin estimer sa mission accomplie. « S'il y avait eu beaucoup plus de déserteurs, souligne-t-il, il y aurait eu peut être des millions de morts de moins dans les camps et sur les champs de bataille. » soulignait-il en 2002, stigmatisant l'exclusion des "traitres à la patrie en temps de guerre" de la loi adoptée alors.
Ce billet reprend un article paru aujourd'hui dans la Croix.
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