Mémoires: Anne Frank retrouve sa famille
Par Michel Verrier, vendredi 22 janvier 2010 à 11:17 :: Mémoire :: permalien #146
Bernd, devenu le comédien Buddy Elias après guerre, sera pendant quinze ans vedette de la revue Holiday on ice dans les années cinquante.
A Berlin, en ce début du mois de décembre 2009, il se souvient d'une belle journée de l'été 1935, dans la villa de la tante française Olga Spitzer, près de Saint Moritz, ou Anne était venue passer ses vacances avec son père Otto. Elle a 6 ans, lui 10, et elle l'a emmené dans la chambre de leur grande-mère, Alice. Il doit se déguiser en empruntant robe, chapeau, coussins pour la poitrine, c'est un gage. Il rit en se regardant dans la glace, mais il n'osera pas aller s'exhiber au salon, dans cet accoutrement.
« Quant elle avait quelque chose dans la tête on ne lui enlevait pas », se souvient-il. A l'évocation de ces jeux d'enfants, les sourires ont éclairé un instant les visages des auditeurs tassés dans la salle du centre Anne Frank, à Berlin...
A travers les pages il reconstitue l'histoire de la famille d'Anne, qui retrouve ainsi sa place parmi les siens. Gerti Elias a découvert "ce trésor" d'archives en 2002 par hasard: « en rangeant le grenier de la maison, dans la Herbstgasse, là ou vécurent Otto, le père d'Anne, et sa grand mère, Alice. Le correspondance de trois générations étaient empaquetées dans les armoires, les malles ». « En lisant ces lettres, des mois durant, j'étais saisie, à en hurler parfois, dit-elle. »
Vieille famille juive allemande connue et respectée à Francfort, les Frank avaient fui leur pays natal, en 1933. « Le déclic final confiera plus tard Otto Frank à Buddy. ce fut une horde de SS défilant devant les fenêtres de la banque familiale, en chantant:« quand le soldat part à l'assaut/ oh c'est la bonne humeur/quand le sang juif jaillit du couteau/oh c'est encore meilleur.» Ils se réfugient à Amsterdam.
Les Elias eux avaient quitté Francfort dés 1925 pour Bâle. Leni, la soeur d'Otto, la mère de Buddy, frissonnera en y recevant en aout 42 la dernière carte des Frank. Des voeux d'anniversaire, avec des mois d'avance. Depuis juillet, Otto, sa femme Edith, Anne et sa soeur Margot se sont cachés sous les toits avec la complicité de la famille d'Amsterdam qui les héberge, pour tenter d'échapper aux nazis. Ils ne donneront plus signe de vie. Le livre raconte l'attente de la famille échappant aux nazis dans la Suisse encerclée.
Les rumeurs de la déportation des juifs de Hollande n'effacent pas tout espoir, certains se seraient cachés. Puis avec les années, on évoque des millions de morts dans les camps. Leni cache ces chiffres à sa mère, Alice, qui attend le retour de son fils Otto, comme elle l'attendait à la fin de la première guerre mondiale, lorsqu'il était officier allemand, décoré de la croix de guerre.
Otto a été libéré à Auschwitz le 27 janvier 45 par les Russes. Il ne pourra envoyer un signe à Bâle qu'en mai, en envoyant un télégramme en français: « arrivé bonne santé Marseille Partons Paris baisers ».
La joie sera courte, la lettre qui suit raconte la mort d'Edith. Otto est sans nouvelle de ses filles depuis la séparation, la sélection, sur le quai d'Auschwitz-Birkenau. Rapatrié à Amsterdam , dans une Europe dévastée, sans moyen de communications, il cherche leurs traces, interroge les rescapés, pendant des semaines, avant de trouver leurs noms sur la liste des morts du camps de Bergen Belsen. Brisé, « sans identité » -la Hollande et la Suisse évitent de naturaliser les juifs rescapés-, il ne rejoindra enfin les siens qu'au nouvel an 46, à Bâle.
Il faut « redresser la tête » lui dira Buddy, dont la joie de retrouver l'oncle se mêle à cette « honte d'avoir vécu en mangeant à sa faim », tandis qu'eux vivaient leur martyre. « Dans un autre monde, sur la « planète Auschwitz » dont l'horreur est impossible à décrire avec la langue des hommes», lui dira Otto. Buddy « découvrira » sa cousine en lisant son « journal », « Ce message de tolérance, d'humanisme », que la « fondation Anne Franck », fait vivre aujourd'hui en aidant les jeunes à se connaître, à travers le monde. « Parce qu'il n'y a qu'une race, la race humaine un point c'est tout », assénait Buddy Elias à Berlin.
Note: « Grüße und Küsse an alle » die Geschichte der Familie von Anne Franck, vient d'être publié aux éditions S.Fischer Verlag, Francfort.
Ce billet reprend mes articles parus dans la Croix, Sud Ouest et la tribune de Genève.
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