Oskar Lafontaine, les cathédrales, les super-marchés, et les "racines chrétiennes du socialisme"...
Par Michel Verrier, dimanche 16 mai 2010 à 14:13 :: société :: permalien #162
Ces mots de Lafontaine illustrent le lien religion-politique en Allemagne, pratiquement impensable pour un Français.
Aujourd'hui des milliers de catholique, écoeurés par le scandale des prêtres pédophiles "dissimulé" des décennies durant, «quittent leur communauté», se désaffilient officiellement de leur église -l'appartenance à une église fait partie de l’identité en Allemagne- et cessent donc de payer l’impôt religieux collecté par les services fiscaux.
Le catholique Oskar Lafontaine «les comprend»certes, mais d’un autre côté souligne-t-il, dans un interview publié par die Welt, il faut bien réfléchir au rôle que jouent les églises dans nos société modernes. Comme le disait Dostoiewski: «si Dieu est mort tout est permis», poursuit-il. Ou pour le dire autrement chaque société a besoin de se référer à des valeurs. C’est pourquoi il a toujours été pour les religions, au delà de toutes les fautes aujourd’hui comme hier.
Oskar Lafontaine lui ne fait aucun mystère de sa religion et explique même qu’il ne s’est même jamais posé la question de la difficulté pour un catholique comme lui de diriger un parti dans lequel une bonne part des adhérents sont athées. «Je suis persuadé en effet que l’idée socialiste n’aurait jamais vu le jour sans le christianisme, explique-t-il. C’est la religion de l’amour du prochain, ce que l’on appelle «solidarité en «politiquement correct».
"Mon engagement à gauche tient entre autres à mon éducation chrétienne poursuit l’ex président de die Linke. L’idée de l’égalité est aussi d’origine chrétienne, elle renvoie à l’idée de l’égalité des enfants de Dieu."
Une affirmation classique en Allemagne ou Spartacus, Jésus, Luther, Thomas Münzer, Karl Marx, font en quelque sorte partie de la même famille -pour faire très court. Éduqué chez les jésuites, Lafontaine estime que la religion jouait à l’époque de Karl Marx un autre rôle qu’aujourd’hui. D’ou l’étiquette d’opium du peuple que lui avait collé à l’époque l’auteur du Capital -un opium dont on pouvait comprendre qu’il était indispensable pour vivre dans les conditions de l'époque d'ailleurs, selon Marx.
Mais la vrai question aujourd’hui est de savoir qui prend en charge la transmission des valeurs selon le leader de la Gauche, pour qui les églises, donc, sont plus efficaces sur ce plan que les grands magasins.
"Un socialiste ne doit pas être chrétien, mais un chrétien doit être socialiste", assénait Lafontaine dans son discours au congrès de fondation de die Linke. "C'est une maxime que nous dédions aujourd'hui aux croyants critiques au sein des églises." A Münich, à l’ouverture des «journées des églises», qui rassemblaient cette année catholiques, protestants, orthodoxes, Andrea Nahles, catholique, vice-présidente du SDP et porte parole de la gauche du parti, a fait quant à elle un commentaire de la Bible au côté d’un pasteur protestant. Elle développa, à partir de la légende de l’arche de Noé, la notion de don sans condition, une "inimaginable générosité".
A la fin du déluge, Dieu promet en effet à Noé de ne pas répéter l’opération, explique-t-elle, bien que les maux de la société des hommes n’aient pas été éradiqués sous les flots. La réponse à ce don généreux, la façon de vivre de la société des hommes aujourd’hui est un défi lancé au créateur, selon Andrea Nahles. Qu’il s’agisse du développement de la misère, de la course à la compétitivité, à l’enrichissement, ou de la convoitise sans mesure.
D’autres personnalités politiques dont Wolfgang Thierse, vice président du Bundestag, ou Thomas de Maizières, ministre de l’intérieur, développeront eux aussi à Münich leur interprétation du message de la Bible, en public. Angela Merkel est venue y exposer la politique future de son gouvernement en temps de crise.
Imaginez une fête des églises en France à Marseille par exemple ou Nicolas Sarkozy vient expliquer sa politique, Benoît Hamon de la gauche du PS commenter un passage de l'évangile, tandis que François Bayrou, Martine Aubry, Jean François Coppé -noms cités au hasard- sillonnent la cité de stands du rassemblement au milieu de centaines de milliers de visiteurs. Inimaginable! En Allemagne, les journées des églises de Münich font par ailleurs la une de tous les médias allemands. Le quotidien berlinois alternatif Tageszeitung, tient une chronique en directe et publie sur son site web une très longue interview de Maria Jepsen, première femme nommée évêque de l’église protestante, en 1992. Une longue partie de l’entretien tourne autour de la «querelle» entre les catholiques et les protestants à propos de la virginité de Marie, la mère de Jesus.
Vérité théologique, ou biologique? Un débat qui renvoie selon la théologue féministe à bien d’autres questions, de la reconnaissance -ou non- de la sexualité, à la place dans la société de la femme qui conçu le fils de Dieu, simple villageoise de Galilée, en passant par le rôle que peut jouer encore son personnage auprès des femmes à travers le monde.
Autant de témoignages de l’imbrication entre le politique et le religieux, structurels en Allemagne et impensables en France. On évoque à tour de bras en France notamment, la citation «tronquée» de Karl Marx, à propos de la réligion «opium» du peuple. Son compagnon Friedrich Engels a écrit lui un -petit- ouvrage sur «La guerre des paysans en Allemagne» ou il dépeint les partisans du théologue révolutionnaire Thomas Münzer comme les précurseurs du communisme il y a presque cinq siècles -les «communistes primitifs», selon ses propres termes.
Une histoire qui éclaire toujours la culture politique allemande aujourd’hui -et me fait penser à la citation de von Humboldt: «une langue est un univers».
Un message à retenir pour tous les Français qui s'intéressent à l'Allemagne. L'Allemand n'est pas simplement une langue "étrangère"...
A lire: l'interview de Lafontaine dans die Welt évoqué dans ce billet. je me suis longtemps demandé comment traduire Kirchentag?
Der Tag, le jour, signifiait autrefois: rassemblement, délibération. Le verbe tagen veut dire décider, délibérer.
"Bundestag» renvoie au rassemblement, aux délibérations des députés du Bund, la fédération, «Bundestag», c'est le parlement.
Le «Parteitag» est l'instance de décision, de délibération du parti, bref son congrès.
Les «Kirchentag» par contre ne sont pas des assemblées décisoires, ou l’on décide de la politique à venir des églises en tant qu’institution. Chaque église à ses propres instances pour cela.
Ce sont plutôt des journées d’échanges, de réflexion, des laïcs des communautés. C’est pourquoi je préfère traduire dans ce cas «tag» par «journées» des églises, et pas parce que der Tag signifie couramment le «jour».
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