Hitler, les Juifs de berlin-Schöneberg, les travailleurs forcés, expositions berlinoises

Hitler et les Allemands, un Führer en "petit format"

Plus de deux cent cinquante mille visiteurs, dont nombre de touristes étrangers, ont parcouru depuis le 10 octobre le sous-sol du bâtiment élancé du musée d'histoire allemande, et les 7 pièces en enfilades qui composent l'exposition « Hitler et les Allemands, communauté nationale et crimes ». L'exposition qui doit fermer dimanche 27 février a rompu un tabou. Un musée a consacré pour la première fois ses salles au « Führer », pour tenter de comprendre le lien qu'il noua avec le peuple.
En même temps Hitler est partout en Allemagne. Des rangées entières de livres dans les bibliothèques et les librairies, aux couvertures régulières de magazine, et aux « DVD par thèmes ». En octobre la dernière livraison du Spiegel retraçait le Blitzkrieg , le conquête de la France. Les polémiques sont fournies à chaque fois qu'un livre, une nouvelle analyse, un livre tentent d'expliquer l'inexplicable. Un film tel que «la chute » a attiré des millions de spectateurs.
L'exposition berlinoise avec 600 objets et 400 photos est un concentré de tout ce qui est déjà connu.À une ou deux exception près pas de révélation pour le visiteur. Nombre de textes, de photos, d'affiches ont déjà été vues ou aperçues quelque part, dans une exposition sur les camps, la résistance, les SS et la torture, ou l'écrasement du mouvement ouvrier. L'exposition berlinoise fait donc face à forte concurrence.
La pièce d'accueil retrace la constitution du parti du Führer, un «  parti-clique », à Münich au début des années vingt. L'affrontement avec un mouvement ouvrier très puissant est sa première raison d'être. Il faut « tuer le marxisme », proclame une banderole barrant une photo. Après un putsch manqué, on suit son ascension irrésistible au milieu de la crise de 1929. Photos et panneaux illustrent le mécanisme de la prise du pouvoir, alors qu'un tiers seulement des électeurs ont voté pour Hitler -contrairement à une légende bien établie qui veut qu'ils l'aient élu.
L'étouffement par la force du parlement, la croix gammée et l'uniforme du Nsdap investissant les travées, l'opposition emprisonnée, les syndicats de même, vont de pair avec la mise au pas des églises. Un évêque photographié fait le salut nazi.
Le parti pris de ne rien faire en trop grand donne une impression de « Führer en petit format », résumait la critique de l'hebdomadaire der Spiegel.
Le visiteur doit jouer des coudes, en se penchant pour lire des tableaux explicatifs illustrés de petites photos. Les vidéos même sont de format réduit, courtes et le son coupé. On peut analyser les mimiques du Führer mais sans entendre sa voix.
Comme si l'exposition avait peur de son ombre !
La pièce suivante détaille très bien le mécanisme de l'arianisation de la société. L'éloge du travail, la construction d'autoroutes, l'ouverture de chantiers géants, l'embrigadement des jeunes, des femmes, vont de pair avec la délation et l'exclusion croissante des juifs, la chasse aux handicapés, aux malades qui « pèsent sur la société ». Les portraits-types de la race allemande font sourire un instant. Grands blonds au nord, petits bruns à moustache au sud (!).
Les objets kitschs choisis pour recréer l'environnement , bustes d'Hitler, téléphones, radios, jouets et modèles réduits sont assez banals -à part l'imposant bureau du Führer, "caché" dans un coin. La pièce quatre évoque l'âge d'or du Reich, les jeux olympiques de Berlin, les films de Riefenstal, Bayreuth, Hitler et Wagner. Elle nous conduit à la transition vers la guerre et les camps, l'extermination. Une photo terrible -et trop petite- sur la rampe de sélection à Auschwitz. Les exterminations à l'est, puis la guerre totale, et l'Allemagne encerclée. Un simple panneau sur la résistance, impuissante, et la chute de Berlin, précèdent la dernière pièce qui rassemble les unes du Spigel sur Hitler (52), ou les images du dictateur de Chaplin.
Une exposition chronologique parfaite, un concentré pédagogique des explications de l'ascension du Führer, mais du « Déjà -vu » selon les termes de l'historien Wolfgang Wipperman professeur d'histoire contemporaine à l'université de Berlin, qui compare «Hitler et les Allemands »  à un livre d'histoire pour classe de seconde », dont le visiteur sort avec les mêmes questions qu'il y était entré. Ce n'est pas une curiosité malsaine qui le conduit ici. Mais le besoin de comprendre. Quel pouvait être l'effet de ces marées de lumière, ces cortèges de nazis avec flambeau, après la prise du pouvoir, sur ceux qui n'avaient pas choisi Hitler, soit les 2/3 des électeurs lorsqu'ils purent s'exprimer pour la dernière fois ?

La sélection raciste et l'esclavage du travail forcé

L'exposition « les Allemands, les travailleurs forcés et la guerre », présentée du 28 septembre au 30 janvier, au musée juif de Berlin, une première elle aussi, donnait une image complète de cet esclavagisme du vingtième siècle, et de ses vingt millions de victimes. Une histoire conclue en 2001 seulement, après la « longue marche des survivants » pour être reconnus, voire dédommagés de leur peine.
Les photos fortes, remuantes, les témoignages oraux de rescapés, les documents et explications démontent parfaitement la sélection raciste qu'incarnait en fait le « travail forcé », et la constitution progressive du vaste du troupeau des « sous-hommes », dont la seule fonction sera de travailler pour les Allemands, jusqu'à la mort.
Les premières victimes, les « opposants » condamnés dés 1933 aux travaux punitifs, les juifs étiquetés « paresseux » par nature et enfermés dans les « colonies de travail », sont rejoints au fil des conquêtes par les femmes ukrainiennes « importées » par wagons bestiaux, par les prisonniers serbes, les millions de soldats russes, ou les troupes de soldats italiens -après 1943. Aux côtés des Polonais, des Belges, des Français, presque parfaitement isolés des Allemands, ils sont répartis dans les campagnes, les usines, sur les chantiers des routes qui traversent le nouveau Reich. Ou bien exploités jusqu'à la mort dans des conditions invraisemblables sur des chantiers d'usine souterraines, ou de mines de molybdène qui n'entreront jamais en exploitation .
Sous la tutelle de l'organisation Todt, ils construisirent le mur de l'Atlantique, les usines Daimler Benz à Minsk, ou constituaient en 1944, 90% des effectifs ouvriers de BMW. Un passé que le groupe automobile n'a assumé pleinement et finalement qu'en 2006 !
Organisée par les fondations « mémoire, responsabilité, avenir », et « mémoriaux de Buchenwald et Dora », l'exposition va parcourir les capitales étrangères après sa première à Berlin.

« Nous étions voisins », en souvenir des Juifs de Berlin-Schöneberg

Beaucoup moins médiatisée l'exposition permanente « nous étions voisins » à la mairie de Berlin-Schöneberg est consacrée au juifs qui habitaient ce quartier du centre de la capitale allemande au début des années trente.
Une grande pièce aux murs pâles, sous un plafond ovale, abrite des tables étroites, alignées, qui rappellent l'école. Des cahiers-dossiers, écrits et photos, sont rangés les uns à côté des autres. À chacun a sa chaise. Le visiteur s'assoit là ou le porte sa curiosité pour feuilleter les 136 biographies de ceux qui échappèrent aux rafles. De simples petits cartons tapissent les murs, avec les noms de 6069 hommes, femmes, enfants, déportés dont il ne reste pas d'autres traces.
En parcourant les tables, des visages connus attirent le regard. Ainsi du philosophe Walter Benjamin, songeur, sur la photo qui orne son cahier, imageant sa naissance, ses racines, son école la Kaiser Friedrich Schule à Berlin-Charlottenburg. Il s'exile dés 1933 à Paris. D'où il devra fuir l'occupation nazie, tentant en vain de partir aux USA en passant par l'Espagne. Il se suicidera à Port Bou, après avoir appris qu'il allait être renvoyé en France.
Le cahier d'Einstein est sur une petite table voisine. Des photos -dont le petit format est la bonne mesure ici- le montrent avec sa seconde femme Elsa , sur les trottoirs de Berlin, ou dans son appartement de Schröneberg, au violon ,en compagnie du violoncelliste Francesco von Mendelssohn et du pianiste Bruno Esser.
Après sa jeunesse à Ulm, puis à Münich, il était devenu Suisse, professeur à Zurich. Il sera reconnu allemand en 1921 après son adhésion à la société des sciences prussiennes. Juif et pacifiste, sentant monter le péril, il fuit bientôt aux USA, et rendra son passeport après la prise du pouvoir d'Hitler en 1933 pour devenir américain.
Les noms anonymes voisinent avec les noms célèbres. Horst Eisfelder voisin d'Einstein sur la table du musée fuira Berlin avec sa famille à treize ans, pour Schangai. La guerre, puis l'invasion japonaise le conduiront finalement en Australie ou il épousera Greta Kay, juive immigrée comme lui.
Gisela Freund, photographe, voulait "rapprocher les gens, c'est pour moi l'un des devoirs de la photographie". Elle fuira en 1933 et ne reviendra à Berlin qu'en 1996, invitée par la municipalité pour redonner son nom d'origine à la rue ou elle habitait, non loin d'Einstein, la Halberlandstr, qui fût débaptisée par les nazis.
Dans son cahier ses photos prises en exil à Paris, Anna Seghers, Cocteau, Michel Leiris, Sartre et Beauvoir, ses amis. Elle aussi devra fuir à nouveau l'Allemagne nazie envahissant la France et partira à Buenos-Aires -grâce à une invitation que lui avait fournie André Malraux.
A côté d'elle Erich Fromm, psychnalyste, critique de Freud, philosophe et humaniste, qui avait ouvert son cabinet sur la Bayerischer Platz -Wilhelm Reich, son collègue de l'institut psychanalytique de Berlin est plus loins sur une autre table. Fromm avait fondé l'institut de psychanalyse et de recherches sociales de Francfort, avec Marcuse, Adorno, et Horkheimer avec qui il émigrera en 33 aux USA. La nazisme mutilait ainsi la culture, la pensée allemande.
Le voisin de Fromm sur la table, Gideo Gal-Ov, s'appelait autre fois Hans Glaser, il illustre lui un autre voyage. "Quand nous sommes partis d'Allemagne nous se sommes pas partis en exil mais dans notre pays natal. Pour moi être juif c'est appartenir au peuple juif dont la patrie est Israël aujourd'hui."
Plusieurs tableaux détaillent les pays d'émigration des juifs de Schöneberg. Israël/la Palestine bien sûr. La Suisse, qui avait demandé aux autorités allemandes qu'un J voyant soit appliqué sur les passeports, afin de ne pas confondre les migrants juifs avec des touristes allemands. Shangai, la Chine et les nouveaux exodes après l'invasion par les japonais.
La Turquie accueille en 1933 un millier d'immigrés, dont 800 scientifiques et artistes. Ernst Reuter , maire de Berlin après guerre lui en saura grés. Les USA et la Gde Bretagne sont des refuges "naturels". Ceux qui émigrent au Danemark, seront contraints de fuir toujours plus au nord, la Suède, la Norvège chaque fois que les nazis gagnent un pays.
Des dizaines de milliers émigrent en Amérique Latine, Argentine, Brésil, Chili en tête.
En 1945 l'émigration des criminels nazis (Eichman, Mengele) qui parviennent à dominer les colonnies allemandes grâce aux gouvernement en place, les contraindront à un nouvel exode. 650 rescapés reviendront à la fin de la guerre en Autriche, Allemagne. 295 d'entre eux débarquent le 21 aout 1947 à Berlin, en gare de Görlitzer.
Le cahier de Johny L.Lewis raconte: "nous étions des juifs libéraux, pas des sionistes". Après la prise du pouvoir d'Hitler, "j'ai milité dans la clandestinité au SPD, puis j'ai fui en 38. Un camarade de classe, membre des SA, m'avait averti que nous allions être raflés". Il rejoindra Paris, puis la Colombie.
Hany Lévy, toute jeune fille, restera elle à Berlin, sous la protection de plusieurs familles allemandes, dont les Kolzer, qui lui faisaient teindre les cheveux en blond, tous les 15 jours, jusqu'en 1945. "Ils m'ont donné une seconde fois la vie", dit-elle.
Les cahiers-dossiers ont été rassemblés et sont actualisés par des survivants, des témoins, des proches. L'exposition ouverte en janvier a déjà accueilli 28000 visiteurs. Schöneberg a choisi d'en faire une installation permanente, pour faire vivre la mémoire .

(ce billet reprend en partie un article publié le 22 novembre dans La Croix)

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