Istanbul, plus proche de Stuttgart 21 que de la place Tahir

« Le peuple a gagné », le quotidien turc Cumhurriyet, résume ainsi le sentiment d'une partie de la population, note le quotidien berlinois Tageszeitung, proche des écologistes. «De plus en plus de gens avaient été démoralisés ces dernières années et ces derniers mois surtout par un premier ministre Tayeb Erdogan toujours plus autoritaire et arrogant. Jusqu'à ce que la colère rentrée explose ». La destruction des arbres du parc Gazi, coin de verdure au coeur du vieil Istanbuul, et de la place Taksim, en fut l'étincelle.
Evoquer pour autant un « printemps turc» en référence au printemps arabe est trompeur. Taksim est plus proche de Stuttgart 21, mouvement de citoyens contre la construction de la gare souterraine de la capitale industrielle du Bad Würtemberg, que des mobilisations de la place Tahir, pour ne pas parler du combat des rebelles syriens.
L'insurrection pacifique et citoyenne d'Istanbul évoque la révolte des habitants de Stuttgart contre le fameux projet d'aménagement urbain qui détruit les arbres, la flore du parc qui jouxte la vieille gare actuelle, menaçant l'environnement et les sources d'eau naturelle. Une mobilisation qui eût son écho dans l'ensemble de l'Allemagne, et contribua à la perte par la démocratie chrétienne du très conservateur Land de bad Würtemberg, bastion de la CDU depuis cinquante ans -Le Bad Würtemberg est aujourd'hui le premier Land allemand gouverné par un ministre-président vert
La « Resistanbul », selon le titre raccourci du Tageszeitung, a certes subi une répression policière féroce, faisant plus de 1400 blessés -et un mort renversé par un chauffard. Mais les forces de l'ordre allemandes utilisèrent également sans retenue les gaz lacrymogènes et les canons à eau pour évacuer puis réprimer les manifestants et les occupants du parc de la gare de Stuttgart, protégeant les arbres séculaires. De même l'intervention policière contre les manifestants à Francfort ce week-end fut extrèmement brutale, provoquant de nombreux blessés.
Certes, la police turque reste marquée par son passé, par les exécutions sommaires, la torture, la chasse aux militants et aux intellectuels kurdes par exemple. Mais imaginer que les institutions policières et répressives en Allemagne à l'inverse sont un modèle sans tache, relèverait de la naïveté, les ombres de l'enquête en cours sur les crimes du réseau néo-nazi (NSU) en témoignent.
Tayeb Erdogan lui même a convenu du caractère démesuré de la riposte policière. Une commission d'enquête devrait être mise en place à ce propos. Le président Abdulla Gül a reconnu la légitimité des manifestations en dehors du jeu électoral. La Turquie fait partie du club des démocraties européennes, que celà plaise ou non à ses critiques. Et les critiques de Damas à l'égard de la répression des manifestants turcs, sont avant tout une insulte de plus pour le peuple syrien victime lui d'une boucherie sanguinaire.
Majoritairement de religion musulmane et située de l'autre côté de la Méditerranée, la Turquie n'est ni une dictature, contrairement à certains slogans favoris de l'extrême-gauche radicale turque, ni une société en quête de statut après avoir renversé un pouvoir absolu, comme l'Egypte ou la Tunisie.
Erdogan n'est pas un tyran. Rien à voir avec Moubarak, Bachar el Assad, Ben Ali. Après dix ans de pouvoir de l'Akp, son parti, la Turquie peut au contraire parachever sa métamorphose, issue d'une pseudo-démocratie manipulée par les militaires des décennies durant. Erdogan est parvenu à abroger les pleins pouvoirs de l'état-major des armées sur la société turque -un tiers du corps des officiers supérieurs est en prison. Il est possible même aujourd'hui qu'il poursuive au grand jour le dialogue entamé depuis des années avec la résistance kurde du PKK, entamant définitivement le chauvinisme turc qui remonte à l'origine de la république de Kema Ataturk -mais tous les revers et les coups-bas restent possibles.
Aucun parti dit laïque -un terme qui voile souvent l'autoritarisme dans cette région- n'avait réussi une telle mise au pas de cet «état profond» qui tenait auparavant la société turque en laisse.
De ce point de vue Erdogan a déjà gagné marqué sa place de "père" de la Turquie moderne. C'est entre autres parce qu'il a cassé ce carcan militaire qu'il a battu ses adversaires à plate couture lors des dernières élections -dont le CHP censé représenter la gauche laïque-, attirant même les votes des jeunes qui ne sont pas partisans d'un islamisme, même modéré, et qui manifestent aujourd'hui à Taksim.
Cette démocratisation de la société turque fait en effet boomerang aujourd'hui, sur les tentations autoritaires d'Erdogan. Alors qu'il se conçoit de plus en plus comme le « père de la nation » et veut réglementer jusqu'à la vie personnelle de ses concitoyens, qu'il s'agisse de la famille, de l'éducation des enfants, de la consommation d'alcool, ou des arbres de Gazi.
Il veut utiliser la nouvelle constitution qui doit être adoptée en 2014 pour instaurer un régime présidentiel dont il serait le premier à bénéficier des pouvoirs. La révolte d'Isrambul qui s'est transformé en contestation d'une politique étouffante pour la société tombe à pic. Erdogan devra faire avec. Il serait encore probablement majoritaire aujourd'hui dans des élections en règles, il n'est plus « intouchable » pour autant. Il faut espérer que le mouvement né à Taksim parviendra à lui imposer le respect de ceux qui le contestent. Les journalistes et les intellectuels qui moisissent en prison notamment, victimes de lois répressives qui interdisent toujours la liberté d'expression, indispensable à une démocratie réelle.

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