Trois femmes élues à la tête de l'église protestante
Publié le mardi 07 décembre 2021, 10:23 - modifié le 31/12/21 - Religion-Société - Lien permanent
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Quel contraste des images. Au moment ou l’Église catholique française, avec ses évêques, hommes en gris et noir s’agenouillait pour demander pardon des plus de 300000 victimes des agressions sexuelles cachées pendant des décennies, l’Église évangélique allemande (EKD) nommait trois femmes à sa tête lors de son synode, mercredi 9 novembre à Brême.
Anette Kurschus, pasteure de 58 ans a été élue présidente du conseil de l’EKD par 126 voix sur 140. Elle succède pour 7 ans à Heinrich Bedford-Strohm, évêque bavarois. Kirsten Fehrs, évêque de Hambourg, a été élue vice-présidente du conseil avec 116 voix sur 139 exprimées. La présidence du synode revient à Anna-Nicole Heinrich, étudiante, 25 ans. Le conseil de l’EKD, la direction de l’Église évangélique allemande, comprend 15 membres , huit femmes et sept hommes.
Le synode de l'ÉKD en 1989 avait été consacré à « la communauté des hommes et des femmes dans l'église » et visait à mettre en oeuvre des mesures concrètes permettant une meilleur participation des femmes à la vie de l'Église, alors que les hommes monopolisaient les postes. Il a porté ses fruits.
Mais cette féminisation ostensible de l’Église évangélique sera-t-elle une réponse à sa crise, à la désertion constante de ses fidèles ?
L’EKD, rassemble divers courants du protestantisme, les églises luthériennes y sont évidemment dominantes et si l’on veut comprendre l’Allemagne qui reste profondément imprégnée de son histoire chrétienne (cf note en bas de page) et de la réforme initiée par Martin Luther il y a 500 ans. il est important d’observer attentivement le protestantisme allemand. C’est une force aussi puissante que l’Église catholique, un acteur politique social et idéologique de taille Outre-Rhin.
Un fait inimaginable en France ou l’Église catholique a conservé le monopole du christianisme depuis les guerres de religion et l’exode/expulsion/extermination des Hugenots, dont nombre se sont réfugiés... à Berlin notamment. La France royale d’alors, « fille aînée de l’Église » s’amputant ainsi d’une partie de son peuple.
« Le protestantisme en Allemagne est une puissance, en France c’est une poussière, m’avait résumé à Berlin, le pasteur de l’Église francophone, suisse d’origine et longtemps en poste dans le sud de la France ».
L’élection en 2009 de Margot Käßmann, 51 ans, évêque de Hanovre, à la présidence de l’EKD marqua déjà un tournant dans le rôle et la place des femmes au sein de l’Église évangélique. Tournant que le synode de Brême conforte. Margot Käßmann, 51 ans, personnage charismatique pour les Allemands, divorcée et mère de trois enfants, avait eu des mots durs en 2005 lors de l'élection à Rome de son concitoyen Joseph Ratzinger pape Benoît XVI, le « pape allemand ». « Ce n'est pas mon monde ». L'Église catholique est «uniquement représentée par des hommes. Je suis heureuse que chez nous les hommes et les femmes soient pasteurs. »Elle démissionnera quelques mois plus tard de son poste après avoir été contrôlée au volant avec un taux de 1,56 d’alcool dans le sang.
Face à l’église catholique l’Église évangélique semble plus en phase avec l’évolution de la société allemande. Le mariage homo n’y est pas tabou. « quand deux être s’aiment et veulent se lier l’un à l’autre qui donc veut les en empêcher, les juger » selon Margot Käßmann . Mais l’Église évangélique est divisée sur cette question. Le débat sur l’égalité des couples homosexuels et hétérosexuels n’est pas terminé, estime Heinrich Bedford-Strohm ex-président du conseil de l’Église protestante. L’EKD est un organisme fédéral – comme l’Allemagne- préservant ainsi l’autonomie relative de ses composantes.
Le mariage n’est pas considéré comme un sacrement dans l’Église évangélique allemande et Marie n’est pas « la vierge Marie ». Un mythe de la virginité qui expliquerait avec le célibat des prêtres exclusivement masculins, les avatars de l’Église catholique avec la sexualité considérée comme un péché, expliquent certains protestants.
L’hostilité de l’Église évangélique au nucléaire m’avait frappé particulièrement lors de la plus grosse manifestation anti-nucléaire depuis 20 ans à Berlin le 6 septembre 2009. Friederike von Kirchbach, théologue, prévôte de l'église évangélique de Berlin et du Brandebourg s'adressa à la manifestation en termes vifs, soulignant l'urgence de la sortie de l'atome, une énergie « qui n'est pas conciliable avec le message de la Bible ». Le nucléaire c’est en quelque sorte pour les évangélistes l’homme qui se mèle de ce qui est du ressort de Dieu et porte ainsi atteinte à la création « die Schöpfung », qui doit être préservée à tout prix.
L’église se préoccuper donc étroitement des défis du changement climatique, « afin que nos enfants et petits-enfants puissent vivre décemment ». Inquiet de la « renaissance du nucléaire », à la mode en France, Hans Diefenbach, porte parole de l’EKD pour l’environnement, rejette la notion de technologie de transition chère à Bill Gates et autres partisans. A l’occasion du dixième anniversaire de la catastrophe de Fukushima il souligne que les problèmes de sécurité et de stockage des déchets de cette technologie n’ont toujours pas été résolus.
Les Verts ont été soutenus par l’EKD. Katrin Göring Eckardt, originaire de l’Allemagne de l’est, députée des Verts, vice présidente en 2005 du Bundestag, le parlement allemand, fut élue en 2009 présidente du synode de l’EKD. Elle accueillera le pape allemand Benoit XVI en visite dans son pays au titre des l'Église évangélique. Tout un symbole.
Les deux Églises comptent respectivement 20,23 millions de membres pour l’EKD, soit 24,3% de la population allemande, et 22,19 millions pour l’Église catholique 26,7 % des Allemands. Il est facile de décompter les fidèles qui paient régulièrement l’impôt religieux relevé par les services du fisc, selon la religion déclarée par le contribuable.
Cette adhésion inimaginable en France, tient autant au rôle social des églises en Allemagne. Partenaires de l’État, considérées comme des institutions d’utilité publique, elles gèrent les écoles, hôpitaux, maisons de retraites sans lesquelles les services publics seraient paralysés.
Mais les « sorties de l’église », la désaffiliation officielle, n’ont cessé ces dernières années. La procédure payante, passe aussi par le fisc, puisqu’on ne paie plus l’impôt religieux. 220 000 fidèles ont quitté l’église évangélique en 2020, 221 000 l’église catholique.
L’Église catholique allemande est particulièrement plombée depuis 2010 par les scandales des prêtres pédophiles, l’abus d’enfants, protégé par l’institution religieuse. L’Église protestante n’a pas été épargnée par ces crimes. Mais l’ampleur du scandale dans l’Église catholique a en partie dissimulé celui de l’EKD.
949 cas d’abus sexuel depuis 1949 ont été recensés dans l’Église évangélique et les institutions sociales qui en dépendent, pour la majorité dans les orphelinats et les foyers d’enfants. Il s’agit là des crimes recensés par l’Église. Mais L’EKD a mandaté l’«autorité indépendante pour l’examen des abus sexuels d’enfants », organisme fédéral, afin de réaliser une enquête approfondie qui mette en lumière la dimension réelle de ce drame.
L’Église catholique a recensé de son côté, après examen de 36000 actes, 3667 abus sexuels commis par 1670 religieux en son sein. Elle reconnaît elle-même qu’il s’agit là d’une sous estimation du drame et de ses victimes. Ses critiques soulignent que les actes ont été monopolisés voire manipulés par l’Église avant d’être mis à disposition des auteurs de l’étude sur les crimes sexuels. Certains avaient été transmis à Rome, certains ayant même « disparus ». Les abus commis dans les institutions dépendant de l’Église, collèges, foyers d’enfants, n’ont pas été recensés. L’expert indépendant chargé au départ de cette étude a fini par remettre sa démission après avoir dénoncé la censure exercée par les autorités religieuses.
Annette Kurschus résume ainsi son action future en tant que présidente de l’EKD : « nous avons un ton particulier à donner à la vie que personne n’apportera autrement ». L’EKD doit être selon elle, reconnaissable, réfléchie, encombrante parfois même si elle doit privilégier un jugement mesuré. Elle estime que son église doit avant tout avoir à l’esprit ceux qui sont les perdants aujourd’hui, les laissés de côté, ceux qui sont aux marges de la société. Les « étrangers » sont aussi une préoccupation au coeur de l’EKD.
Autant d’engagements, avec la féminisation de l’EKD dont il faudra mesurer l’effet sur la désaffiliation, le désengagement et la désertion des offices des fidèles.
L’influence de l’Église évangélique se manifeste aussi dans la religion affichée par les chanceliers et présidents allemands. La laicité allemande va de pair en effet avec la revendication de sa religion.
Franz Walter Steinmeier, président de la république est protestant comme son prédécesseur Joachim Gauck. Angela Merkel est protestante comme son prédécesseur Gerhard Schröder. Son successeur Olaf Scholz sera le premier chancelier sans appartenance religieuse affichée. Il est « sorti de l’église évangélique » dont il fut membre. il prenait néanmoins la parole lors de la célébration du 500ème anniversaire de Martin Luther par l’EKD, soulignant ses mérites et critiquant son fanatisme, tout en assurant que « la Réforme n’est pas contradictoire avec les Lumières ».
Helmut Schmidt, Willy Brandt, étaient tout deux protestants.
Mais citons pour conclure un catholique, Oskar Lafontaine, longtemps président du parti social démocrate avant de rejoindre le parti la Gauche -un inspirateur selon Jean Luc Mélenchon . « Les super-marchés ne peuvent pas remplacer les cathédrales » résumait-il pour souligner le rôle décisif de la religion dans l’équilibre de la société allemande.
Note:
L'Allemagne est profondément imprégnée de son histoire chrétienne, note le Süddeutsche Zeitung. Les liens entre les églises et l'état sont tissés les uns avec les autres, d'une manière inimaginable dans nombre d'autres pays en Europe. L'état lève l'impôt religieux, paie le salaire des évêques, et donne des fonds pour chaque enfant accueilli dans un établissement religieux. Il y a des chapelles sur les autoroutes, des statues de Marie sur les chemins de randonnée, des croix au sommet des montagne et, au sud au moins, des crucifix dans les salles de classe et les tribunaux.
C'est aussi pour ces raison que le scandale des maltraitance percute l'église catholique avec une telle force.
Des prêtres et des membres d'ordre religieux reconnaissent presque chaque jour avoir battu des enfants et avoir abusé d'eux, ou bien en avoir été informé sans pour autant faire appel à la police. De quoi ébranler une société qui avait jusqu'à présent une grande confiance dans les qualités de l'éducation délivrée par les églises en particulier.
Le nombre des élèves dans les internats catholiques est toujours croissant parce que leurs parents estiment qu'ils y seront particulièrement bien traités.
On apprend maintenant qu'au "cloître d'Etal", un modèle, un père téléchargeait des pornos pédophiles, affichait des photos d'enfants à moitié nus sur un site internet et que des écoliers étaient systématiquement battus. A une époque ou tout semble permis, une communauté comme de valeurs comme l'église catholique est particulièrement utile. Mais pour se faire entendre elle a besoin d'autorité. Elle la perd actuellement au lieu de la gagner.
Certains dignitaires religieux n'ont visiblement toujours pas compris que l'église a accumulé pendant des décennies de graves culpabilités sur le plan moral et judiciaire, estime le Tagesspiegel. Le président de la conférence des évêques se permet ainsi de fixer un ultimatum à la ministre de la justice afin qu'elle revienne sur ses propos mettant en cause la volonté de l'église catholique de faire toute la lumière sur les abus sexuels. Il se considère donc pratiquement au dessus des lois. Le frère du pape Georg Ratzinger -ancien maître de chapelle de la chorale de Regensburg ou des abus ont également été commis-, estime que derrière les accusations d'abus sexuels se cache "une hostilité affirmée contre l'église et l'intention évidente de la calomnier".
En même temps les récentes révélations sur les abus dans un internat laïque fréquenté par l'élite en Hesse, montre qu'il serait faux de limiter le débat à propos de l'usage de l'autorité et de la sexualité aux établissements religieux.
Ils s'agissait beaucoup plus d'un climat coutumier dans la société des années cinquante et soixante. L'autorité reposait encore sur le pouvoir et l'exercice du pouvoir signifiait encore très souvent la force. C'était le cas dans les internats et les pensionnats ou les maitres et les éducateurs, réputés les plus autoritaires, frappaient sur les enfants sans protection, et les religieux de même. Ce climat d'excès de violence s'est prolongé dans les établissements religieux plus longtemps qu'ailleurs. C'est cela qu'il s'agit de comprendre maintenant.
À lire dans le blog Revue de presse:
http://www.michel-verrier.com/revue-presse-allemagne/?2010/03/08/569-spd-emplois-sociaux-pour-prime-symbolique-le-scandale-de-l-eglise-catholique-heurte-toute-la-societe