Les tournants brutaux ne sont pas de bonne augure pour la démocratie chrétienne, le parti d'Angela Merkel, selon le quotidien berlinois der Tagesspiegel . La chancelière en a déjà fait l'expérience avec la décision brusque d'arrêter le nucléaire au lendemain de la catastrophe de Fukushima, alors qu'elle venait de livrer bataille avec succès pour la prolongation de la durée d'activité des centrales. L'atome faisait partie du profil de la CDU contre le SPD et les Verts. Un changement de politique fatal pour les démocrates-chrétiens qui sa traduira peu après par la perte du land de Bad Würtemberg, qu'ils gouvernaient depuis des décennies et qui sera conquis par les Verts.
Quatre ans plus tard le parti démocrate-chrétien se trouve pris à contre-pied par la chancelière sur un terrain tout aussi sensible, l"identité", l'immigration, note le quotidien berlinois. La chancelière ouvre d'abord les frontières en contournant les règles de l'Union. Les autorités et les volontaires pour l'accueil des réfugiés se retrouvent bientôt débordées dans les Länder par l'afflux de dizaines de milliers de personnes. A tel point que le ministre de l'intérieur, Thomas de Maizières (CDU), doit rétablir le contrôle aux frontières. Créant le chaos notamment à la frontière Austro-Allemande pour les milliers de frontaliers qui la franchissent quotidiennement.
Nombre de responsables régionaux du parti démocrate chrétien ont donc mis en garde Merkel ces derniers jours contre les contrecoups de sa volte-face à la base du parti, craignant un Fukushima bis. La chancelière, persuadée avec raison sans doute que la majorité des Allemands soutiennent sa décision, réplique que la situation humanitaire exceptionnelle ne permettait pas d'autres choix que le sien. « Si maintenant il faut commencer à s'excuser pour avoir affiché un visage accueillant à ceux qui étaient dans la détresse, je ne me sens plus dans mon propre pays, » commentait elle mardi 15 septembre, rapporte le quotidien die Welt .
Le volontarisme affiché par la chancelière pour ouvrir les portes de l'Allemagne aux réfugiés syriens en particulier et leur assurer le refuge qu'ils demandent, est en harmonie avec le sentiment affiché par la majorité des Allemands ces derniers mois. Les contre-manifestations qui ont répondu dans toute l'Allemagne à l'apparition inquiétante de Pegida à Dresde en témoignaient. La fièvre xénophobe confortée par l'extrême droite puissante dans le Land de Saxe a fait flop.
Merkel a néanmoins, selon son habitude, pris le train en marche, après avoir gardé le silence, critiquée par les médias. Face aux manifestations racistes de Heidenau, en Saxe toujours, elle avait laissé son vice-chancelier, Sigmar Gabriel, prendre les devants, avant de condamner fermement à son tour la mobilisation et les attaques contre l'accueil des réfugiés note le site die Zeit on line . Une réaction bienvenue.
Mais on lui reproche également d'en avoir fait un peu trop ensuite...les Selfies de la chancelière aux côtés d'un réfugié syrien ont vite fait le tour de la planète. Les manifestants de la place Tahrir à Bagdad affichant bientôt le portrait de Merkel, comme la « maman » des réfugiés et la chancelière héritant d'un nouveau surnom "Sainte Johanna d'Arabie".
Horst Seehofer, le leader de la CSU bavaroise, membre de la coalition gouvernementale, a aussitôt qualifié la politique de Merkel d'irresponsable, soutenant à contrario la politique du hongrois V.Orban, que Seehofer a invité en Bavière en personne afin de trouver un terrain d'entente. La remise en vigueur brutale des contrôles aux frontières de l'Allemagne semble lui avoir donné raison et le leader bavarois ne se prive pas de claironner que cette mesure est le résultat de ses exigences. Les critiques virulentes de la CSU ont fait grincer des dents au sein de la CDU, ou l'on reconnaît cependant qu'elles traduisent le sentiment d'une bonne partie des adhérents.
Mais qui porte la responsabilité directe du tournant à 180° sur l'ouverture des frontières, interroge le Tagespiegel ? Dans la situation actuelle c'est le ministre de l'intérieur, Thomas de Maizières, en aucun cas la chancelière dont le statut est sacro-saint pour la CDU. Merkel ne saurait être mise en cause, même si on lui impute la responsabilité d'avoir donné l'impression à des milliers de réfugiés qu'ils étaient invité en Allemagne. Elle a réagit face à une situation d'urgence intuitivement comme une européenne, elle a réagit humainement. De Maizières, lui, de toute façon, a réagit trop tard, et s'est contenté d'administrer la crise des réfugiés estime le quotidien berlinois. Avant d'être ministre de l'intérieur pourtant, il était ministre de la défense, au fait donc de la dimension de la crise au Moyen-Orient et de ses conséquence. Il a ignoré pourtant la dimension du défi auquel l'Allemagne allait avoir à faire face.
La chancelière elle a eu tord de ne pas prendre en compte les alertes venues des Länder en ce qui concerne les capacités d'accueil des réfugiés et demandeurs d'asile. Hannelore Kraft, ministre-président du Land de Rhénanie Westphalie, soulignait ainsi le 8 septembre dernier dans les colonnes du quotidien münichois Süddeutsche Zeitung l'insuffisance du plan d'aide du gouvernement Merkel de 6 milliards d'euros qui venait d'être adopté. La Rhénanie du nord (NRW) a créé 1800 places d'accueil d'urgence dés 2012, elle en compte 37000 aujourd'hui et prévoyait d'atteindre les 60000 à la fin de l'année. Le Land le plus peuplé d'Allemagne est avec la Bavière la première destination des réfugiés.
Mais la crise a bousculé ces prévisions et le Land a créé ainsi 17000 places en urgence en une semaine début septembre. Le NRW percevra 600 millions d'aide sur les milliards de crédits prévus par le gouvernement pour 2016, souligne H.Kraft.
Or les dépenses cette année atteignent déjà 1,7 milliards d'euros pour le seul budget du Land. Les efforts financiers prévus par la chancelière ne sont donc pas à la hauteur de ses ambitions. D'autant qu'on évoque 800000 migrants cette année, 500000 les années suivantes. La ministre président insiste par ailleurs sur les silences du plan d'aide, sur la prise en charge de l'accès aux soins des réfugiés par exemple. Quant à l'office fédéral pour les réfugiés et les demandeurs d'asile chargé de délivrer les autorisations de séjour, il est incapable de faire face à l'afflux des nouveaux arrivants. 250000 dossiers sont déjà en retard de traitement. Les mises en garde d'Hannelore Kraft se sont trouvées rapidement confirmées. Münich débordé à son tour par l'afflux des réfugiés, l'Allemagne faisait volte-face aux frontières. Ce qui n'est pas la solution, souligne Dieter Reiter (SPD), maire de Münich . Les réfugiés sont « farouchement déterminés ». On ne stoppera pas leur afflux ainsi. L'Allemagne est « un pays d'immigration ». Il faut l'accepter et en tirer les conséquences en adaptant les lois en vigueur. « Nous ne devrions pas songer à éviter les nouveaux arrivants nous préoccuper de ce que nous faisons quand ils sont là ». Rien qu'à Münich un tiers des offres d'emplois reste sans candidat, insiste-t-il. ( voir mon billet « les nouveaux Gastarbeiter selon Daimler » )
Après un sommet mardi soir à la chancellerie rassemblant l'ensemble des ministres-président des Länder, un nouveau sommet de crise se tiendra à Berlin, le 24 septembre.