Le vote bizarre des Turcs-Allemands
Publié le samedi 22 avril 2017, 12:55 - Immigration - Lien permanent
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«D’un côté 69,8 % des Turcs qui vivent en Allemagne sympathisent avec le SPD, 13,4 % avec les Verts et 9,6% avec die Linke et de l’autre 63,1 % des Turcs qui ont le droit de vote, presque les deux tiers, ont voté pour le système présidentiel de Tayeb Erdogan. Qu’est ce que cela signifie donc, s’interroge le Tagesspiegel (Berlin). Sont-ils dans leur majorité de gauche et écologistes ou bien autoritaires, nationalistes et religieux ? » Ils sont en fait tout à la fois. Ils le vivent quotidiennement avec pragmatisme, ce qui peut paraître contradictoire Le nationalisme religieux satisfait leur besoins identitaires, mais leur préférence pour les partie de gauche et écologistes tient à la défense des droits des minorités, à l’anti-racisme au multi-culturalisme et au droit à la double nationalité. » C’est l’un et l’autre et non l’un ou l’autre.

Cela heurte beaucoup de monde. Les Turcs qui vivent en Allemagne seraient en quelque sorte « la cinquième colonne d’Erdogan . Ils joueraient un double jeu perfide. En Allemagne ils goûtent la liberté et la démocratie, tandis qu’ils votent en Turquie pour l’absence de libertés et le despotisme. » Les migrants modernes en fait ne coupent pas leurs liens, selon le Tagespiegel. Ils voyagent de leurs pays d’adoption à leur pays d’origine et correspondent en permanence, via smartphones et Skype en permanence. Ils regardent les chaînes télévisées turques. Beaucoup ont suivi également le vote des leurs, au pays.
« Ils ont voté oui, parce qu’ils savent combien la majorité des Allemands critiquent Erdogan et ses plans commente Hasnai Kazim, dans le Spiegel on line. Il faut écouter leur argument. Et prendre en compte le fait que l’absence de culture de l’accueil des migrants a contribué à ce que des gens qui ont vécu toute leur vie en Allemagne, qui sont nés ici, se sentent malgré tout toujours étrangers. Il faudrait se préoccuper de nouvelles incitations à l’intégration. Mais il ne faut pas pour autant, excuser respectueusement le comportement bizarre et le vote de protestation de nombreux Turcs-Allemands. Ils se sont tirés eux même une balle dans le pied pour se venger. »

« 50 % des Turcs-Allemands ne sont pas allé voter. Comment peut-on savoir ce qu’ils pensent », souligne quant à lui Ruprecht Polenz, spécialiste de politique étrangère de la CDU, dans le Tagesspiegel. « 2 millions de Turcs-Allemands sur 3,5 millions n’ont pas le droit de voter en Turquie par ailleurs. 450 000 Turcs Allemands, soit 13 % d’entre eux ont voté pour la réforme de la constitution d’Erdogan. C’est encore trop, mais il n’y a pas là de quoi mettre, au nom d’Erdogan, tous les Turcs-Allemands dans le même panier. » « On ne peut évidemment tenir la moitié des électeurs qui se sont abstenus pour des adversaires de la réforme de la constitution, poursuit-il. On ne connaît pas leur motivation. Mais c’est déjà un constat de la politique d’intégration : ils ne tenaient pas ce vote pour si décisif qu’ils aient à tout prix dû y prendre part(...) rien ne permet d’insinuer qu’ils s’orientent en priorité sur ce qui se passe en Turquie et non en Allemagne. »
Le vote ne peut donc être un argument pour réclamer la suppression du droit à la double nationalité comme le réclament les conservateurs de la démocratie chrétienne. « Nous savons que 450 000 personnes qui ont un passeport allemand ont voté pour la réforme constitutionnelle. Ils l’auraient fait également sans. Le droit à la double nationalité par ailleurs ne peut être un cas particulier pour les Turcs. 4,3 millions de personnes qui ont la nationalité allemande en ont également une seconde. 690 000 la nationalité polonaise, 570 000 la nationalité russe, 530000 la nationalité turque. Voulons nous mettre ces 4,3 millions de personne devant l’alternative : c’est l’une ou l’autre ? »
Ruprecht Polenz souligne par ailleurs que le vote Erdogan est lié au niveau d’éducation et au statut social. « Aux USA 16 % des Turcs seulement ont voté pour la réforme constitutionnelle. La raison en est peut être qu’ils ont suivi des études supérieures en forte proportion, alors qu’en Allemagne ils restent des travailleurs immigrés, les « Gastarbeiter » dont les descendants ont un niveau d’éducation inférieure à celui des autochtones. »
Le Berliner Zeitung résume lui la question ainsi : « Vote de protestation, patriotisme ? Comment se fait-il que le soutien à Edogan soit plus prononçé chez les Turcs-Allemands qu’en Turquie même ? ». Canan Bayram candidate député des Verts à Friedrichshain Kreuzberg ne pense pas que « les partisans de la réforme constitutionnelle rejettent en même temps la démocratie allemande ». Mais pour nombre d’entre eux le principal argument est que « l’AKP d’Erdogan est le seul garant possible de la stabilité en Turquie. » Il existe une véritable crainte des attentats terroristes de quelque côté qu’ils viennent et des conséquences des guerres dans les pays voisins.
Un Turc-Allemand de 41 ans qui détient la double nationalité et habite à Kreuzberg a voté oui et explique ainsi les votes en ce sens : « en Turquie on nous appelait les Turcs-Allemands et en Allemagne les « Kanakes « Mais Erdogan nous a rassuré dés le début. « Vous êtes des nôtres ». Erdogan a réussi à redonner une identité à de nombreux Turcs-Allemands souligne Burkard Dregger, porte-parole du groupe parlementaire démocrate-chrétien au parlement berlinois, mieux que ne l’a fait notre état de droit. Nous devons nous demander nous même pourquoi il en est ainsi. » Dregger critique également le droit à la double nationalité. Nous avons vu dimanche, selon lui, comment cela peut conduire à des conflit de loyautés.
J’ai été choquée qu’Erdogan récolte tant de voix en Allemagne, dit Brigitte Lafos, en visite à Berlin et venue de Cologne. Son mari se souvient des rassemblements massifs organisés pour la venue d’Erdogan dans leur ville d’origine. « D’un côté je pense qu’ils n’auraient pas du avoir lieu. Mais d’un autre je crois que les interdictions ensuite de tenir de tels meetings électoraux ont finalement servi Erdogan ».