Berlin, de Luther à la capitale athée

A l'occasion du jubilé de Luther et de la tenue du "Kirchentag" -forum de l'église- à Berlin, le quotidien berlinois, Tagespiegel, a publié une rétrospective intéressante de l'évolution de la religion dans la capitale allemande. Une lecture recommandée pour les germanistes. Tant il est vrai qu'on ne peut comprendre l'Allemagne -et Berlin- hors de l'influence culturelle et politique de la religion.

A l'époque de la publication des thèses de Luther s'élevant contre les "indulgences" moneyées par l'église, le cardinal catholique de Berlin, Albrecht von Brandenburg,  pratiquait à profusion ce commerce des "indulgences" contre lequel s'insurgea le théologien de Wittenberg -les indulgences achetées à l'église étaient censées racheter ou relativiser les « pêchés ». Il provoquait ainsi les futurs partisans de la réforme luthérienne. A tel point que le prince-électeur du Brandebourg, Joachim II adopta en 1539 la célébration de la communion luthérienne.

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Mais un siècle plus tard le prince-électeur Johan Sigismund épousera lui les thèses de Calvin, divisant sa propre famille, Berlin et la région du Brandebourg, devenues entre temps luthériennes. Les affrontements et polémiques, violences y compris, se prolongeront jusqu'en 1837, au sein des églises réformées. A cette date les deux confessions s'unirent.L'église évangélique allemande rassemble aujourd'hui les protestants de différentes obédiences, mais les luthériens y sont très largement dominants.    "C'était une époque ou les querelles théologiques mobilisaient les masses comme cela nous semble uniquement possible aujourd'hui au sein de la religion musulmane, commente le Tagesspiegel."

L'église unifiée n'en demeura pas moins partagée entre les mouvements conservateurs et les libéraux séculiers.

Les protestants quittèrent en masse leur église au lendemain de la première guerre mondiale alors qu'elle se mettait ostensiblement -sauf exceptions- au service des nazis.

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l'église évangélique, symbole de Berlin

Après la seconde guerre mondiale, l'église évangélique dû suivre deux chemins différents dans l'Allemagne d'après guerre. Intégrée et partisane de la démocratie à l'ouest, divisée à l'est entre la loyauté à l'égard des autorités et la sympathie pour les courants d'opposition, résume le Tagespiegl. Un Kirchentag rassembla cependant les deux branches à Berlin en 1953.

Pendant les années soixante, la révolte étudiante et les mouvement anti-guerre partagèrent à nouveau les rangs des protestants. Rudi Dutschke, leader des étudiants prit la parole en 1967, dans l'église de la Breitscheidplatz décapitée par les bombes de la seconde guerre mondiale et symbole de la ville. L'église était occupée par des étudiants protestant contre la guerre du Vietnam et hostiles au conservatisme chrétien qui avait fait de l'église symbole de Berlin le haut-lieu des nuits de noël ou l'on goûtait les chants liturgiques à la lumière des cierges tout en étant aveugle face aux conflits sociaux. Dutschke fut violemment viré de la chaire.

Accusé d'avoir troublé le paix des lieux il attaqua au contraire un religieux présent lors de l'algarade pour « non-assistance ». Le débat se propagea au sein de l'église évangélique enflamma les relations entre les conservateurs se rassemblant autour du surintendant de l'église Heilsbronnen de Schöneberg et l'évêque de Berlin Kurt Scharf, président du conseil de l'église évangélique qui prit avec hésitation la défense des étudiants. Le professeur de théologie de gauche, Helmut Gollwitzer, de Berlin-Dahlem, expliqua quant à lui que « le pire était qu'une communauté chrétienne défende la tranquillité de la veillée de noël contre tout ce qui pouvait la troubler, et même contre Jésus. Car celui qui se réfère au Christ ne doit pas tourner la tête devant les calamités de la guerre du Vitenam. Nombre d'étudiants n'étaient donc pas selon le théologien des troublions sans Dieu, mais des jeunes à la recherche d'une nouvelle église à laquelle ils puissent se sentir liés ».

Une analyse qui donnait le ton de ce que serait l'église évangélique dans les décennies suivantes intégrant le mouvement pour la paix et la mouvement anti-nucléaire, des manifestations au Kirchentag au prix d'une influence réciproque et au détriment de la spiritualité telle que la concevaient les conservateurs. L'alliance du clocher et de Greenpeace ne faisait pas leur affaire.

Après la chute du mur, l'influence des protestants venus de Berlin-est prit le dessus. Opposants dans l'ex RDA, décidés, habitués aux conspiration ils y avaient constitué un contre-pouvoir sous l'égide de l'église évangélique. Joachim Gauck, futur président de la république et Manfred Stolpe, ministre président du Brandenbourg, étaient les précurseurs les plus connus. Le théologien Thomas Krüger en fut le promoteur en tant que ministre de la famille et adjoint au maire de Berlin d'Eberhard Diepgen (CDU), après la réunification. L'imposant Dôme de la cathédrale protestante à l'est prit la place de l'église du souvenir de Berlin-Ouest en tant qu'église principale des protestants berlinois. Mais l'espoir de voir un nouveau souffle renforcer la foi chrétienne dans la vie de tout les jours sous leur influence fut bientôt déçu. L'influence de l'église à Berlin n'a cessé de décroître.

« Il faut passer un week-end en Bavière aujourd'hui pour retrouver le carillonnement des églises qui rythme le déroulement de la semaine à grand bruit», note der Tagesspiegel. Les berlinois irrités par les cloches ont fini par l'emporter contre la culture chrétienne dominante de la conviction acoustique...encore que l'on trouve toujours à Berlin ces carillonnements intarissables dirons nous pour avoir habité dix ans à côté de l'église -catholique il est vrai- de la Winterfeld Paltz. L'église protestante à l'autre bout de la Goltzstr étant beaucoup plus discrète.

Les églises ont également perdu la lutte contre la socialisation du week-end dont le centre de communion devient le centre commercial. Le dimanche est resté seulement en partie épargné. Pendant ce temps les communautés chrétiennes, catholiques ou évangélistes, n'ont cessé de se réduire. Le nombre des pasteurs de même . Nombre d'entre eux ne sont plus des inspirateurs, des conseillers, des consolateurs des fidèles de leur communauté, mais seulement des prestataires de service surchargés pour les fêtes familiales de tous ordres, principalement les enterrements. Il n'y a plus de place pour de nouvelles églises dans les nouveaux quartiers de la ville, le besoin ne s'en fait plus sentir. L'église évangélique tente souvent pour cette raison de maintenir sa présence symbolique à dose supportable dans les «  espaces de recueillement » au sein des bâtiments des foires, des stades ou dans les fêtes de rues.

Là ou elle demeure un pouvoir, par la « Diakonie », les oeuvres sociales, hôpitaux, maisons de retraite, et jardins d'enfants l'église a dû se plier depuis longtemps aux impératifs de l'économie et de la concurrence, qui ne permettent pas de conserver sa personnalité propre. Nombre d'écoles privées, chrétiennes, à Berlin se sont donné un profil élitaire, ce qui peut se comprendre face à la misère des établissement publics. Mais quand on doit son isolement des contraintes de la vie quotidienne berlinoise à sa contribution financière, il est difficile de dire ce qu'est devenu le cœur de la foi, commente le Tagesspiegel.

A Berlin aujourd'hui on polémique sur la croix, arme symbolique de l'occident chrétien. Doit-elle être érigée sur le château reconstruit de l'Alexander platz ? Signalons au passage que le conseil central des musulmans s'est prononcé pour. L'église protestante bâtie par l'architecte prussien Karl Friedrich Schinkel, un musée et un bâtiment historique menace de s'effondrer, ébranlée par les travaux des immeubles modernes qui se construisent tout autour. Quant à l'église protestante décapitée, symbole de Berlin ouest, elle disparaît progressivement, entourée par les nouveaux grattes-ciels qui surplombent le jardin zoologique.

La tenue du Kirchentag du jubilé à Berlin est particulièrement appréciée parce qu'elle attenue ces douleurs fantomatiques et permet à la ville de jouir un moment au moins de l'aura du christianisme vivant, sous l'oeil de la statue de Luther provisoirement ré-installée à la Marienkirche au centre de la capitale.

Michel Verrier

Author: Michel Verrier

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