Hambourg, la brosse à WC défie les contrôles policiers
Publié le lundi 27 janvier 2014, 21:39 - modifié le 19/03/14 - témoignage-reportage - Lien permanent
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Hambourg a entamé l'année 2014 en fanfare avec la multiplication des contrôles policiers, et des manifestations, dans les quartiers de Saint- Pauli, Altona et Schanzen, connus pour leur non-conformisme et leur esprit rebelle. Il ont été décrétés le 3 janvier « zone dangereuse » par les autorités. Une mesure touchant 50 000 habitants au bas mot, et justifiée par l'agression le 28 décembre de trois policiers du commissariat de la « Davidwache » à Saint Pauli, sur l'avenue Reeperbahn réputée pour ses bars de strip-tease, ses théatres et ses boîtes de nuit, à deux pas des rives de l'Elbe ou les grues girafes remplissent les portes containers géants. Un policier avait il est vrai été sévèrement blessé à la mâchoire et au nez par jet de pierre.
La ville hanséatique gouvernée par
les sociaux démocrates depuis 2010 n'a pas tardé à faire la une
des médias allemands, l'hebdomadaire hambourgeois der Spiegel
critiquant « l'esprit Panzer remplaçant l'esprit de
finesse ».
Les policiers ont saisi en dix jours
sur 800 personnes contrôlées quelques « pétards et explosifs
interdits», souvenirs des festivités du 1er janvier
importés de Pologne, et même une brosse à WC blanche !
Un
trophée présenté lors des informations de la première chaîne
ARD, et devenu aussitôt par dérision l'icône des manifestants,
les brandissant en défilant « contre les contrôles
policiers », salués par les habitants de Saint Pauli du haut
de leur fenêtres, la brosse à la main -les stocks se sont
volatilisés en quelques jours chez les commerçants locaux.
L'attaque du commissariat du 28 décembre serait liée, selon les autorités policières, aux affrontements issus de la manifestation du 20 décembre pour le soutien de « Rote Flora », un centre culturel autogéré fief de la gauche « autonome », squatté depuis 25 ans et menacé d'expulsion. « Une cause qui ne justifie pas l'usage de la violence », argue Michael Neumann, social démocrate et ministre de l'intérieur de la ville-état. Il condamne les agitateurs qui « enflamment les débats à propos de Rote Flora, ou des demandeurs d'asile rescapés de Lampedusa réfugiés à Hambourg », et fustige « ces gens qui portent des marques de vêtements « globalisées », mènent une vie « globalisée » et jettent la pierre à la globalisation.»
Autant d'amalgames qui ont révolté les habitants des quartiers visés. « On veut nous faire payer la défense de Rote Flora », estime Tina, 44 ans, employée habitante de Saint Pauli». « Il y a sans doute eu une bagarre avec les flics de la Davidwache », nous expliquait Justus, 27 ans, acteur, participant à la manifestation contre les contrôles policiers samedi 11 janvier à la nuit tombante. « Mais ce n'est pas une expédition des milieux autonomes ou que sais-je encore. » Les services de renseignements hambourgeois de la Verfassungsschutz estiment eux même que les violences proviendraient plutôt de hooligans, de fans excités du Football club Saint Pauli.
« Ce n'est pas la première fois que nous avons des démêlés avec la police de Hambourg, c'est une vieille histoire, rappelle Justus ». En 2001 déjà le ministre de l'intérieur Ronald Schill adepte des méthodes policières et allié du maire démocrate-chrétien Ole von Beust, avait été baptisé le « Sherif noir » -la couleur des partis conservateurs. «Depuis 2010 on a un maire social démocrate, Olaf Scholz, et un Sherif « rouge ». Le SPD redoute de passer pour « mou » face à la CDU. »
Les autorités municipales ont elles été dépassées par la vague d'humour déferlant à Saint Pauli? Le 10 janvier par exemple, les manifestants s'affrontaient par dérision devant le commissariat Davidwache dans une « bataille d'oreillers », laissant par terre un tapis de plume ! Les contrôles et la « zone dangereuse » ont en tout cas été abrogés lundi 13 janvier.
Restent les causes profondes du malaise des quartiers populaires du centre de Hambourg, qui ne s'effacent pas d'un coup de brosse à WC.
A « Schanzenviertel », non loin des bâtiments clinquants du centre des congrès, se dressent les murs tagués et décrépis de Rote Flora. L'ancienne salle de théâtre occupé depuis août 1989 rayonne dans un quartier devenu « branché ». Planté devant un jardin pour enfant, Rote Flora fait face à une boutique de chapeau de mode, qu côtoie le restaurant Balouchistan. Les squatters en ont fait depuis trente ans un centre de spectacles et d'initiatives politiques. Sur le mur de façade un immense panneau rappelle l'assassinat il y a un an à Paris de trois femmes kurdes du PKK.
Le quartier de Schanzen attire aujourd'hui touristes et noctambules en quête de cafés-bohèmes, de boutiques et restaurants exotiques. La vie de quartier animée attire de nouveaux habitants, les prix des loyers montent, les investisseurs achètent et reconstruisent du neuf sur de l'ancien. Les habitants d'origine se sentent peu à peu exclus par la « gentrification » rampante.
Rote Flora et ses 1700 mètres carrés ont été racheté en 2001 pour 190000 euros par Klausmartin Kretschmer, un investisseur. Il s'était engagé à respecter l'occupation du bâtiment pendant dix ans. L'expulsion menace aujourd'hui.
La municipalité de Schanzen voudrait au contraire faire la paix avec les animateurs de Rote Flora en rénovant le centre culturel autonome. Mais Kretschmer rejette le prix de rachat d'1,2 millions d'euros proposé par le sénat de Hambourg -ses conseillers évalueraient à 10 millions la valeur actuelle de l'ensemble, bâtiment et terrain.
Des chiffres familiers des spéculateurs immobiliers qui font bondir les habitants de Schanzen ou Saint Pauli, et ravissent les squatter de Rote Flora qui saluent avec humour « l'aide qu'apporte l'investisseur à leur mobilisation avec ces provocations». Ce sont deux conceptions de l'avenir de Hambourg qui se confrontent.
Et du côté de la spéculation immobilière, l'exemple vient de haut. Le clou est détenu par « l'Elbphilarmonie », la salle de concert futuriste qui dominera les flots de l'Elbe. Le bâtiment de prestige commandé par la ville-état en 2007 pour 77 millions d'euros devait ouvrir en 2010. Son coût fut bientôt ré-évalué à 114 millions, puis la fin du chantier étant sans cesse repoussée à plus tard, les prix explosèrent au fil des années. En 2012 le sénat de Hambourg a du signer un nouveau contrat de fin des travaux avec l'entrepreneur Hochtief pour 575 millions d'euros ! Fin 2013, selon les dernières estimations, la salle de concert devrait ouvrir en 2017 ! Son coût final serait de 789 million !
Selon le rapport d'une commission d'enquête diligentée par les autorités, le prix de sa façade translucide est passé à lui seul de 25 à 69 million.
Quant à la brosse à WC dans les toilettes de luxe, elle est facturée 291,97 euros ! De quoi déchaîner Rote Flora et Saint Pauli !
Hambourg,
le premier port allemand, le second port d'Europe après Rotterdam voit l'avenir en rose. Avec 1,8 millions d'habitants -3,5 millions pour l'agglomération- Hambourg est la seconde ville d'Allemagne après Berlin. Les immeubles futuristes et rutilants y poussent comme des champignons. Les bateaux de croisière y côtoient les immenses porte-containers qui font la navette avec l'Asie, la Chine. Hambourg est devenu le troisième port de tourisme européen -après Southampton et Copenhague. Les pistes et les bâtiments d'Airbus industrie succèdent au port sur les rives de l'Elbe.
Fief protestant, Hambourg symbolise l'esprit libéral, ouvert aux vents du large et aux courants d'immigration -la ville fut la capitale de l'immigration de millions d'Allemands vers les USA au XIXè siècle.
La ville-état bénéficie du statut d'un Land, le sénat qui la gouverne est aujourd'hui dominé par les sociaux démocrates. Le maire SPD Olaf Scholz dispose d'une majorité absolue, après avoir infligé une débâcle aux dernières élections en 2010 à l'alliance CDU-Verts qui gouvernait la ville depuis 2008. Mais l'étoile d'Olaf Scholz a pâli depuis auprès de ses électeurs qui lui reprochent une politique austère, au dépend des humbles et des milieux populaires.