Berlin-Neukölln, les artères du Multikulti
Publié le dimanche 29 mars 2015, 19:23 - témoignage-reportage - Lien permanent
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(Retour sur Neukölln, reportage écrit en sept 2012)
Dans une petite rue proche de la "Sonnenallee", l'atelier du projet de mode « Nemona », tisse depuis 2010 les liens entre créateurs, « designers », couturières et tailleurs locaux. Sabine Müller-Köllges, une des animatrices, habite Neukölln depuis 1999 et a senti l »'ambiance changer peu à peu ces dernières années, la politesse devenir plus courante chez les bandes de jeunes».
Ibrahim Bassal, libanais d'origine, tient lui une boutique de produits électroniques dans la « Sonnenallee » - »l'allée du soleil », immortalisée par le film de Leander Haußmann qui décrit la vie des jeunes du temps de la RDA lorsque l'allée était coupée par le mur. Ibrahim est devenu célèbre en 2010 lors de la coupe du monde de football, en déployant un immense drapeau allemand courant sur les cinq étages de son immeuble. Des « fascistes » l'ont d'abord arraché parce qu'ils ne voulait pas le voir sur un « immeuble d'arabes, puis des autonomes parce qu'ils ne supportent pas le drapeau allemand. Il a remplacé le tissu noir, jaune, rouge à chaque fois et nous montre l'article du Bild Zeitung qui raconte l'histoire et qu'il garde précieusement.
Arrivé de Beyrouth en 1988 à l'âge de seize ans, Ibrahim a la nationalité allemande. « L'Allemagne c'est mon pays. Ici vous pouvez vous habiller comme vous voulez, avoir la religion de votre choix, être homosexuel. Mais tout le monde doit parler allemand, et respecter la loi allemande »précise-t-il. Lorsqu'on l'interroge sur la phrase d'Angela Merkel qui a fait le tour de la planète « le Multikulti est un échec », sa réponse est abrupte. « Elle se trompe, voyez ce qu'on a réussi ici. »
Au café-restaurant qui accueille visiteurs et fidèles, dans l'immeuble de l'église protestante Martin Luther voisine Norbert Busse, prédicateur, tempère : « tous les jeunes ici ne se sentent pas d'abord allemands. »
Le vote dimanche sera cependant un revers de plus pour la chancelière. Depuis dix ans la démocratie chrétienne ne décolle plus à Berlin. Avec 21,3% des voix en 2006 elle recueille aujourd'hui 21% dans les sondages. La CDU semble incapable de reconquérir cette métropole cosmopolite.
Klaus Wowereit,57 ans, le maire social démocrate sortant qui gouverne la ville-état depuis 2001 avec le parti de gauche, die Linke, est à 32% dans les intentions de vote, et devrait conquérir dimanche son troisième mandat. Mais pour « Wowi », le « multikulti, c'est la réalité». Au tournant de l'année 2000, il a sorti Berlin de « la niche » ou l'avait enfermée son statut de ville du mur, pour accueillir le monde, les jeunes attirés par ses nuits et les platines des DJ, les touristes, les artistes, les créateurs et cadres de la nouvelle génération urbaine, électeurs des Verts, qui sont au coude à coude avec la CDU dans les sondages avec 20% aujourd'hui.
Homosexuel affiché, Wowereit incarne cette métropole de 3,5 millions d'habitants dont les deux manifestations monstres, la « gay parade », et le « carnaval des cultures du monde », rassemblent chacune un million de personnes et sont les deux temps forts de l'été, depuis la disparition de la « Love Parade ». Il a su aussi réformer l'école, supprimer le collège élémentaire bas de gamme, au profit du collège pour tous, et offrir la « scolarité gratuite », de la crèche à l'université.
Berlin est « pauvre mais sexy » résumait il en 2001, faisant allusion à la dette de 60 milliards d'euros que traîne depuis la réunification la capitale allemande. Grâce au tourisme, elle affiche aussi une croissance moyenne de 6% en 2010.
A Neukölln, le maire social démocrate Heinz Buschowtsky est connu de toute l'Allemagne. Beaucoup moins conciliant que Wowereit, partisan d'une intégration stricte, il est aussi l'un de ceux qui condamne le « Multikulti », comme la chancelière et s'est affronté avec la responsable municipale du travail en direction de la jeunesse, Gabriele Vonnekelde du parti des verts, en juillet dernier. Il a supprimé brutalement les crédits et les postes de 14 stations d'accueil et d'une quarantaine d'éducateurs pour dépassement du budget. Buschtowsky est un fort en gueule,et a du se justifier d'avoir encaissé un don de 5000 euros de Thilo Sarrazin, auteur du livre choc « l'Allemagne se liquide elle même » qui cible l'immigration turque. Certains affiches du « Big Partei », créé au sein de la communauté turque appellent d'ailleurs à Neukölln à un vote « anti-Sarrazin », toujours membres du SPD.
Pia, 22 ans, originaire de Berlin-Kreuzberg et qui a emménagé avec sa famille depuis deux ans à Neukölln, aimerait que Buschowsky encaisse un revers dimanche. Elle vit dans un immeuble ou 80% des locataires sont d'origine étrangère -on recense 160 nationalités à Neukölln . Et assure que « tout le monde s'entend très bien ». Ce n'est pas une histoire de nationalité qui provoquait les conflits ces dernières années, « mais la misère, la pauvreté, face à la richesse ». « Il y a encore cinq ans se souvient-elle ma mère ne m'aurait jamais laissé venir à Neukölln seule. »
Dimanche dernier, à deux pas de la rue Karl Marx, on célébrait sur la Richardplatz comble, le 178 ème « Propaçi », un concours de rouleaux de paille inauguré en 1737 pour accueillir la « colonnie tchèque ». A l'époque Neukölln s'appelait encore Rixdorf. Le Propaçi interdit par le Kaiser en 1912 a été remis au goût du jour en 2008 par les artistes locaux, pour « toutes les cultures et les générations».
Tandis que des jeunes originaires de familles immigrées participaient au concours de « street dance », un concours sur l'histoire de Neukölln, récompensé notamment par des voyages à Prague, rassemblait lui presque exclusivement les Allemands.
Le dimanche précédent, c'est le « festival franco-allemand » de hip-hop qui avait accueilli les jeunes sur l'herbe de l'aérodrome voisin de Tempelhof, dans le cadre du projet « Clichy sous bois rencontre Neukölln ».
Une initiative de l'office franco-allemand de la jeunesse qui a institué voyages et échanges entre les deux villes. Les jeunes originaires de l'immigration, « apprennent à se reconnaître comme des Allemands et des Européens » lorsqu'ils font le déplacement à Paris, résume Ivan Stevanovic, 27 ans, maître du hip-hop à Neukölln, et originaire de l'ex Yougoslavie !
Maia Tsimakuridze, 35 ans, anime elle depuis 2009 le projet « jeunes migrants pilotes ». Venus de Turquie, de Croatie, de Bosnie, du Brésil, de Georgie et d'Allemagne, les «pilotes» aident leurs semblables, des jeunes de leur âge souvent, qui ont quelques peines avec le travail scolaire, la vie quotidienne, les loisirs ou la culture.
Le tissus de tous ces réseaux a fini par pacifier Neukölln, en conjuguant l'intégration et le multi-culturel.
Revers de la médaille, le quartier intéresse maintenant les investisseurs qui achètent et rénovent, attirant les ménages plus aisés. Les Loyers augmentent à mesure que les cafés bohèmes naissent au milieu des restaurants kebab' et des bars à bières traditionnels. La «gentrification», gagne Neukölln comme les autres quartiers du centre de Berlin et les petits revenus voient leur quartier leur échapper et songent à émigrer vers la périphérie.
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Note:
Berlin est une ville-état, et comme Hambourg ou Brème a le statut d'un Land, son maire celui d'un ministre-président. Les élections du parlement berlinois qui élira le sénat, le gouvernement de la ville, ont lieu tous les cinq ans. Les quartiers de Berlin comme Neukölln élisent également leurs propres municipalités. Klaus Wowereit, SPD, est maire depuis 2001, et a remplacé alors Eberhard Diepen, CDU.