Ukraine: l'Allemagne entre Moscou et Washington
Publié le lundi 24 janvier 2022, 15:14 - modifié le 01/02/22 - Est-Ouest - Lien permanent
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"L’Allemagne devra choisir de quel côté elle se range", insiste-t-il. Est-elle du côté de l’agresseur, Poutine, ou aux côtés de l’agressé, l’Ukraine.
Dans une lettre publiée par le quotidien Bild Zeitung le maire de Kiew souligne que L'Ukraine est menacée sur ses frontières par les troupes russes, qui auraient rassemblé 100 000 soldats. Klitschko fait le procès sans retenue de la politique actuelle de Berlin, qu'il estime favorable à Moscou parce qu'elle est façonnée par les milliards investis par le Kremlin pour « acheter » des groupes industriels allemands, d’anciens responsables politiques, et des lobbyistes.
L’ex chancelier Schröder (SPD) est explicitement dénoncé par le maire de Kiew. Celui-ci exige qu’il lui soit interdit de continuer à travailler pour le régime russe. Lorsqu’il était chancelier en effet Schröder a facilité la construction de Northstream 1, le gazoduc sous marin qui relie directement les gisements gaziers de Sibérie à l’Allemagne, évitant l’Ukraine. Avant de rejoindre le conseil de surveillance de Nortstream 1 lorsqu’il a quitté la chancellerie.
Il a ensuite promotionné la construction de Northstream 2 dont il préside aujourd'hui le conseil d’administration. Schröder défend le refus de Berlin de livrer des armes à l'Ukraine, note le Frankfurter Allgemeine Zeitung, et critique les exigences de Kiev: "j'espère bien qu'en Ukraine on va finir par cesser d'agiter le sabre". Le déploiement des troupes aux frontières de l'Ukraine est selon lui un réaction aux manoeuvres de l'Otan dans la Baltique et en Pologne. Mais il n'y a n'y aura pas d'invasion de l'Ukraine par Moscou, qui n'y aurait "aucun intérêt".
Les gazoducs Northstream sont une provocation pour Kiew
L'Ukraine fait les frais de l'entreprise. Le gaz russe ne transitant plus par ses frontières. Les gazoducs privilégient le Kremlin et l'Allemagne.
Selon Klitschko la déception est d'autant plus profonde pour les Ukrainiens, que le nouveau gouvernement du chancelier Scholz, alliance du SPD, des Verts et des libéraux du FDP, persiste à soutenir la mise en service de Northstream II. Il interdit de surcroit la livraison d’armes à Kiew, empêchant même d’autres États tels que la Lituanie d’armer l’Ukraine.
Les récentes déclarations du chef de la marine allemande, le vice-amiral Kay-Achim Schönbach s’ajoutent à ces griefs. Ils ont fait l’effet d’une bombe à Kiew, rapporte Bild Zeitung.
En visite en Inde, Schönbach a déclaré qu’évoquer l’annexion d’une partie de l’Ukraine par la Russie était un « non sens ». Ce qu’exige Poutine c’est simplement qu’on lui accorde "le respect qui lui est dû", selon le vice-amiral.
Pour l’ambassadeur ukrainien Andrij Meylnik il s’agit là d’un véritable affront à l’égard de son pays, après l’occupation de la Crimée par la Russie - Schönbach s’était déjà fait remarquer en 2014 en assurant que la Crimée était définitivement perdue, après avoir été kidnapée par Moscou.
Le vice-amiral estime par ailleurs que la Russie est un allié indispensable contre la Chine. Et l’ambassadeur ukrainien de s’emporter contre l’arrogance et la mégalomanie allemande qui préparerait « une croisade germano-russe contre Pékin."
Meylnik assure même que les déclarations de Schönbach ont glacé l’Ukraine. Il les compare a l’horreur du nazisme, « quand les Ukrainiens étaient considérés comme des sous-hommes. »
Et s'il se félicite que le vice-amiral ait dû remettre sa démission à la suite de ses déclarations intempestives, il estime que celles ci on semé le chaos et mettent en question la crédibilité internationale et la fiabilité de l’Allemagne.
Les déclarations chocs de l'Ukraine ont peu de chances de convaincre Berlin.
Kay-Achim Schönbach n'est pas un cas d'exception dans les cercles dirigeants allemands en effet. Ses déclarations provocantes résument en raccourci un point de vue pragmatique, évoquant les récentes déclarations de l'ex-chancelier Schröder résumées ci-dessus.
On peut le résumer ainsi. Ce ne sont pas les menaces, les sanctions qui résoudront la crise actuelle, renforcée par le déploiement des troupes russes à la frontière ukrainienne. Il faut savoir entendre les mises en garde et les exigences de Poutine en ce qui concerne la sécurité de la Russie et la stabilité de l'est du continent. Et ne pas persévérer dans l'attitude qui consiste à les contourner sous divers prétextes, après avoir assuré qu'on les prenait en compte. L'élargissement possible de l'Otan, jusqu'aux frontières de la Russie, contre les voeux du Kremlin est l'une de ces questions explosives. C'est d'ailleurs parce qu'il est convaincu d'avoir été berné par l'Otan, et les USA au cours de la dernière décennie que Poutine amasse ses troupes aux frontières de l'Ukraine, après avoir annexé la Crimée et renforcé son appui aux indépendantistes de Donbass, tout en niant que des troupes russes soient présentes sur le terrain.
Dans ce décors les pourparlers de paix entre Moscou et Kiev avec la médiation de Paris et Berlin sont dans l'impasse, tandis que l'affrontement militaire s'est accru ces dernières semaines dans le Donbass. La réintégration de la Crimée dans l'Ukraine, revendiquée par Kiev, paraît être une chimère. Ce qui montre au passage que face à la Russie, l'appui de Washington et la présence des troupes de l'Otan est illusoire. Un affrontement militaire serait catastrophique pour l'Allemagne, des sanctions économiques drastiques contre la Russie également.
Il est difficile à Washington et à Paris de comprendre la relation particulière de Berlin et Moscou
Elle a ses racines historiques, la grande Catherine était allemande; ses racines militaires, l'armée rouge libéra Berlin du nazisme, les chars russes du mémorial à deux pas de la porte de Brandebourg et l'imposant cimetière des soldats soviétiques sont toujours au coeur de Berlin; -ses racines géo-politiques, le partenariat énergétique allemand avec le gaz sibérien s'est transformé en partenariat stratégique des groupes Siemens, Basf, et Gazprom' avec Northstream depuis la chute du mur.
Rappelons enfin que c'est le chancelier Brandt, figure de la social démocratie allemande qui initia la politique de l'ouverture à l'est, vers Moscou, une référence pour le SPD. Pour ne pas parler du lien étroit entre le démocrate chrétien Kohl et Eltsine, et du rapport particulier de Poutine à l'Allemagne ou il vécut à Dresde, officier du KGB.
Fermons cette parenthèse trop courte. Il n'en demeure pas moins qu'Olaf Scholz, le nouveau chancelier social-démocrate allemand, n'avalisera pas automatiquement la politique et les menaces de Washington à l'égard de la Russie. Même si l'Allemagne reste profondément attachée au partenariat transatlantique, ses liens avec la Russie voisine pèsent particulièrement dans la définition de sa politique étrangère.
La ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock (Verts), pourtant hostile à Poutine, a pris le contre-pied de Washington annonçant le départ du personnel de l'ambassade US à Kiev. Soulignant que les Allemands restaient sur place, la situation n'étant pas catastrophique.
Son collègue le ministre de l'économie et du climat Robert Habeck (Verts) insiste sur l'effort "absolument vital" de sa collègue Baerbock pour remettre la diplomatie sur les rail dans la résolution du conflit sur l'Ukraine avec Moscou. Même si le Kremlin accroit les tensions. Il ne faut pas en rester là, selon lui, car "la Russie connait les lignes rouges qu'elle ne doit pas franchir" si elle veut éviter les sanctions pénibles dont elle est menacée.
"En cas d'agression de la Russie, nous disposons d'une vaste palette de répliques, incluant Northstream" assurait jeudi 27 janvier la minisistre des affaires étrangères au Bundestag, répondant au président de la CDU, Friedrich Merz qui fustige le manque de soutien du gouvernement Scholz à l'Ukraine, L'Allemagne et ses alliés ont fait savoir à l'évidence, selon elle, qu'une nouvelle aventure miliatire contre l'Ukraine aurait d'énormes conséquences pour la Russie.
Mais "nous voulons aussi le dialogue à tout moment" assurait jeudi Baerbock et "qui discute, ne tire pas". L'Allemagne va livrer 5000 casques à l'armée ukrainienne qui réclame des armes beaucoup plus sophistiquées. C'est un symbole, tout au plus. Mais 59% des Allemands sont contre la fourniture d'armes à l'Ukraine, selon un sondage publié par le Frankfurter Allgemeine Zeitung, 61% au SPD, 56% à la CDU, 55% chez les Verts, 20% seulement sont pour.
Annalena Baerbock a longuement rencontré le 18 janvier à Moscou le ministre des affaires étrangères Sergei Lawrov, bras droit de Poutine. Son calme et sa détermination auraient impressionné son interlocuteur. Sans dissimuler "les grandes divergences d'appréciation, ou même les différences fondamentales de point de vue entre les deux pays", la ministre a souligné la volonté de l'Allemagne d'entamer "un nouveau dialogue avec la Russie afin que les deux pays jouent un grand rôle dans la maison européenne commune". Un terme répété plusieurs fois et apprécié à Moscou. Une perspective qui souligne le lien particulier entre les deux pays.
N'en déplaise à Kiev et Washington.