Ukraine: le SPD paralysé par le gazoduc Northstream II ?

Le chancelier Scholz rencontrait Joe Biden à Washington ce lundi 7 février, tandis que Le président Macron s’entretenait avec Poutine à moscou. Tandis que la ministre des affaires étrangères allemande Annalena Baerbock se rendait quand à elle à Kiew, après avoir rencontré longuement son homologue russe, Serguei Lawrov, le 18 janvier à Moscou.  
De Washingon à Kiew en passant par Paris, nombre d’observateurs critiquent la  faiblesse des réactions allemandes face à Moscou. Qu'il s'agisse du refus de livraisons d’armes à l’Ukraine -hormis la dotation de 5000 casques militaires qui a l’allure d’un gag - ; ou du refus de sanctions immédiates contre la Russie et de la mise en cause du gazoduc Northstream II en particulier.
Le gaz russe délivré directement à l'Allemagne irrite particulièrement Washington.

Mais si Joe Biden a promis lundi 7 février de stopper Northstream II si la Russie envahissait l’Ukraine, Olaf Scholz s’est bien gardé lors de la conférence de presse commune de citer précisément le fameux gazoduc qui fait polémique depuis des années entre Berlin et Washington.  Tout en réaffirmant son attachement à l’alliance transatlantique et en promettant à Moscou de sévères sanctions au cas ou l’armée russe franchirait la frontière de l’Ukraine.   
La menace de Joe Biden est d’ailleurs maladroite. Car si la Russie n’envahit pas l’Ukraine, ce qui semble le plus probable, les USA cesseront-ils de réclamer la fin de Northstream II ? Soulignons que le ministre des affaires étrangères ukrainien lui même met en garde contre les « descriptions apocalyptiques » d’une invasion, entretenues au premier chef par Washington.

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SPD:"Bloquer Northstream c'est empécher la sortie rapide du charbon"

 

En Allemagne le chancelier Scholz est également sous le feu des critiques de l’opposition et des médias à propos  de Northstream II et de la dépendance énergétique allemande supposée à l’égard du gaz russe. Jusqu’ici le chancelier Olaf Scholz est resté très mesuré dans ses menaces de sanction. « Le gouvernement ne tire pas dans la même direction, mais au contraire dans des directions opposées," estime le quotidien Tageszeitung, proche des Verts, soulignant l’opposition entre la politique du SPD favorable à Moscou et au gazoduc Northstream II, et la politique des Verts qui y seraient hostiles. Quant aux livraisons d’armes ou non à l’Ukraine, le quotidien berlinois ne voit dans ce débat qu’une « manœuvre de diversion ». L’Allemagne ferait mieux, selon lui, de « mettre son arme la plus acérée sur la table » : Northstream II.

Concernant la livraison d’armes, le gouvernement devrait au contraire revoir sa position, estime par contre l’hebdomadaire der Spiegel. «Il est incompréhensible que l’Allemagne refuse ce soutien à un pays partenaire dans la plus haute nécessité. L’Europe et l’Allemagne doivent évidemment convenir d’une capacité de dissuasion propre, face aux nouvelles menaces russes. »
Mais il faudrait avant tout pour cela  que le SPD se soumette au test de la réalité, estime l’hebdomadaire. On aime dans certains cercles de la gauche utiliser le terme de « fauteur de guerre » afin de discréditer tous ceux qui prônent une stratégie politique, militaire, et économique face aux menées guerrières et déstabilisatrices de la Russie. « Tout ce que fait Moscou ne serait même pas à moitié aussi néfaste que ce que font les USA et l’UE en vue de leur sécurité. » Il n’y a pourtant aucun doute actuellement pour différencier l’agresseur, la Russie,  de l’agressé, l’Ukraine. Le gouvernement et en particulier le parti du chancelier, le SPD, devraient le reconnaître de toute urgence et agir en conséquence, selon der Spiegel.

Un discours que l’hebdomadaire tempère lui même en citant le correspondant du Spiegel à Moscou, qui connaît bien la situation en Russie écrit. Il écrit en effet: « On peut ne pas partager le point de vue de Poutine sur l’élargissement de l’Otan à l’est, et ne pas admettre ses menace de le combattre par des menaces militaires. Mais c’est un fait : cet élargissement à l’est percute évidemment les intérêts sécuritaires de la Russie et l’écrasante majorité de l’élite russe estime que l’Otan les ignore. On ne peut tout simplement pas comprendre autrement le conflit actuel. Qui le nie, le fait au prix de sa propre sécurité. »

Au passage le correspondant en Russie de l’hebdomadaire allemand  critique vertement la réponse officielle de l’Otan au revendications sécuritaires de Moscou comparant celle-ci à la « réponse apathique d’un attaché de presse aux questions posées par un écolier ». En comparaison le gouvernement US a répondu à Poutine « en conjuguant  fermeté et souplesse afin de permettre au moins l’ouverture de négociations ».

Pas de quoi convaincre cependant le président russe, cité par le quotidien Berliner Zeitung. "Nous examinons les réponses des USA et de l’Otan à nos revendications, résume Poutine, mais il est clair que les préoccupations fondamentales de la Russie ont finalement été ignorées.  Les USA et l’Otan se réfèrent en ce qui concerne une adhésion de l’Ukraine à l’Otan au droit des États de décider librement des garanties de leur sécurité.  Mais ils ignorent qu’il est impossible de renforcer sa sécurité au détriment de la sécurité des autres ».

Olaf Scholz est convaincu qu’il n’existe pas de solution militaire face à ces exigences de Moscou. Quant aux sanctions éventuelles contre la Russie elles toucheraient également l’Allemagne, et les liens économiques et stratégiques entre les deux pays sur le plan de l’énergie notamment.
D’où sa prudence affichée y compris à Washington après sa rencontre avec Joe Biden.

Mais le chancelier doit également gérer les dissensions au sein du SPD sur la politique à conduire vis à vis de Moscou. Si l’ouverture à l’est initiée par Willy Brandt reste une référence pour le SPD, la bienveillance, voire la compromission à l’égard de Moscou sont d’autant plus difficile à défendre que l’ex chancelier Schröder, l’un des architectes de Northstream et du partenariat avec le Gazprom’, ne rate pas une occasion de faire l’éloge de la politique de Poutine et de critiquer Kiev pour sa politique de menaces guerrière, selon lui.

A tel point que certains responsables de la CDU demandent même que les avantages de son statut d’ex chancelier lui soient retirés. Au passage si l’on accuse Schröder d’être au service du Kremlin, on oublie trop facilement qu’il est en même temps le meilleur ambassadeur des groupes industriels tels que Basf, Siemens, qui cultivent un partenariat stratégique avec Gazprom’.

Ainsi, à l’inverse de Schröder, Sigmar Gabriel, son ex-bras droit, ex-ministre des affaires étrangères, ex-président du SPD  et vice-chancelier de 2013 à 2018 invite à réfléchir sans tabou à l’armement de l’Ukraine.
Malu Dreyer, ministre présidente social-démocrate de Rheinland-Pfalz et Jessica Rosenthal cheffe des Jusos (jeunesses du SPD) ont ouvertement pris leurs distances avec Schröder. Olaf Scholz a estimé nécessaire quant à lui de rappeler que c’était lui le chancelier afin de mettre un terme aux spéculations sur l’influence de Schröder au sein du SPD.

Le co-président du pari social démocrate, Lars Klingbeil, assure que son parti agit en pleine unité avec le chancelier Olaf Scholz, quels que soient les points de vue qui s’expriment par ailleurs. Mais il a tout de même jugé utile de réunir les principaux responsables de son parti pour accorder les violons, dont le chef du groupe parlementaire SPD au Bundestag, Rolf ­Mützenich, la ministre de la défense, Christine Lambrecht, les ministres présidents de  Niedersachsen et du  Brandenburg, Stephan Weil und Dietmar Woidke, ainsi que la ministre présidente du  Mecklenburg-Vorpommern, Manuela Schwesig.

Or cette dernière est partisane affichée de la mise en service rapide de Northstream II. Le Gazoduc aboutit à Lubmin, dans son Land. Elle est donc particulièrement sensible aux arguments de Gerhard Schröder sur la vocation stratégique du gazoduc pour l’énergie et l’économie allemande.  

Karl-Heinz Brunner, député du SPD, expert en politique de défense, et membre de la délégation allemande au sein de l’assemblée parlementaire de l’Otan, explique en détail dans un interview paru dans le quotidien Augsbürger Allgemeine, la politique à l’égard de Moscou.  Un discours qui éclaire la politique du SPD et la prudence du chancelier. Même s’il n’est pas prononcé par Olaf Scholz.

« Nous sommes persuadés que la solution passe par la diplomatie ». Il ne s’agit pas selon, Karl-Heinz Brunner, d’encaisser les menaces russes. Mais les partenaires de l’Allemagne savent eux même qu’il est tout à fait illusoire d’imaginer régler le conflit par les armes. Les USA et l’Ukraine revendiquent une attitude plus dure de l’Allemagne à l’égard de  Moscou. Mais Berlin tout en réitérant son attachement à l’Otan estime pourvoir jouer un rôle important de médiateur  dans le conflit avec la Russie.

Depuis l’annexion de la Crimée, aucun canal de dialogue n’a été entretenu avec Moscou et c’était une grave erreur dont « nous payons le prix ». Car la Russie est le plus grand pays du monde, ce n’est pas le Lichenstein, note Brunner.
Il est très important de comprendre qu’en dépit de sa taille, la Russie n’a d’autres monnaie d’échange ou de moyen de pression que le gaz et qu’il ne faut pas remettre continuellement le gazoduc Northstream II en question. « D’autant que nous en avons besoin d’urgence. » Qu’il puisse être gelé en cas d’agression russe est clair, mais il ne faut pas provoquer celle-ci.

La livraison à l’Ukraine des armes que l’Allemagne a données aux États baltes dans le passé a été très sérieusement débattue au cours de la réunion de l’Otan. Mais cela est exclu pour des raisons historiques et parce que « cela ne ferait que donner le bon argument pour une agression russe, » selon Brunner. Il faut également se méfier des sanctions économiques ou d’un embargo qui n’ont pas fait preuve d’efficacité, selon lui, ou ont même incité au contraire la Russie a résoudre ses faiblesses économiques afin d'y échapper. « Il n’est aucunement de notre intérêt par ailleurs d’affamer la population. Ça ne marcherait pas, les Nazis n’y sont pas arrivé en dépit de leur absence de scrupules. »

Il faut d’abord offrir à la Russie des perspectives économiques et impérativement entamer un processus de négociation avec Moscou. Le « Format Normandie » avec la médiation de la France et de l’Allemagne est  le cadre opportun.
« Il faut discuter, discuter et créer une situation dont les deux camps profiteront, selon Karl-Heinz Brunner ».
Et même si cela paraît utopique, en particulier actuellement, il faut entamer un processus qui pourrait ouvrir à la fin les portes de l’Otan à la Russie. Faute de quoi « nous allons mettre Moscou dans les bras de Pékin. Ce qui est le pire que nous puissions imaginer. 
»

Car la Chine est l’acteur le plus dangereux aujourd’hui sur l’arène internationale selon Brunner. Elle dispose d’un énorme pourvoir militaire et de l’arme atomique. Mais à la différence de la Russie elle est aussi un super-pourvoir sur le plan économique et technologique. Elle pourrait briser notre chaîne d’approvisionnement et mettre notre économie à genoux ne serait ce qu’en bloquant notre accès à son immense marché.
Si un tel bloc se mettait en place, renforcé par le petite Corée du nord, dangereux pouvoir nucléaire, la situation qui en résulterait pour l’Ouest ferait apparaître la guerre froide comme une miniature.

L’adhésion de l’Ukraine à l’Otan serait quant à elle prématurée, selon Karl-Heinz Brunner. Ce n’est pas seulement une question militaire, les valeurs telles que la démocratie sont déjà en déficit  au sein de l’Otan, avec des pays membres comme la Turquie, « et ne sont pas aussi ancrées que nous pouvons le souhaiter en Ukraine ». L’exemple du précédent  président Poroschenko démontre qu’un groupes d’oligarques  influe sur la politique. Il reste beaucoup à faire et cela nécessite de la patience stratégique.

 

 

Michel Verrier

Author: Michel Verrier

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