L'Allemagne en quête de politique sécuritaire

La Bundeswehr est dépourvue de toute efficacité. Mise hors d’usage par la politique d’économies répétées en équipement et armements. C'est un constat dévastateur au moment ou Berlin doit revoir totalement sa stratégie à l’égard de la Russie, abandonner sa complaisance à l’égard du Kremlin, l’illusion selon laquelle le développement des liens économiques entre les deux pays permettrait favorisait son intégration européenne. 

Le gouvernement du chancelier Scholz a certes décidé en urgence de consacrer 100 milliards d’euros de dotation exceptionnelle au réarmement de la Bundeswehr. Mais il ne peut acquérir même avec une telle somme une nouvelle stratégie, viable afin d’assurer sa sécurité, commente le Süddeutsche Zeitung , quotidien de Münich. 
L’inventaire des concepts de stratégie sécuritaire en Allemagne est tout aussi dévastateur. Cette notion a joué un rôle secondaire dans la dernière campagne électorale, ou dans les négociations pour la mise en place de la coalition, SPD, Verts, Libéraux. Comme ce fut le cas pendant des années dans le débat politique. L’idée même d’un conseil national de sécurité fut écartée pour des raisons idéologiques et de pouvoir politique.

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Annalena_Baerbock ministre des affaires étrangères

La défense est un mot que beaucoup n’ont pas prononcé depuis longtemps a reconnu franchement Annalena Baerbock, ministre des affaires étrangères, verte, lors de son discours inaugural présentant le projet de stratégie sécuritaire du nouveau gouvernement. 

Elle en  souligne d'abord l’urgence. « Aujourd’hui nos enfants nous demandent si la guerre va venir jusqu’en Allemagne, et ce que s’est que l’arme atomique... Nous ressentons une nostalgie de la sécurité que ma génération n’a sans doute jamais sentie si vivement ». 
La ministre souligne dans sa déclaration trois points essentiels, selon elle, afin d’assurer « la sécurité de la liberté de nos vies ».
Il s’agit d’abord de leur intangibilité, de la protection contre la guerre et la violence, contre les menaces immédiates et concrètes. 
Il s’agit ensuite de défendre la démocratie et le droit de choisir librement sa vie, comme les hommes et les femmes peuvent le faire au risque de leur vie aujourd’hui en Ukraine. 
Il s’agit enfin de la sécurité « des fondements même de nos vies, ce qui est en train de disparaître dans les villes encerclées ». Mais aussi là ou les conséquences du changement climatique, la misère, la faim, l’absence de bien être, entraînent les conflits entre les populations.

 L’Allemagne doit reconsidérer sur le fond ses relations avec la Russie, qui seront empreinte de conflit tant que Poutine sera au pouvoir, selon Annalena Baerbock. Face à l’agression russe, à la question de la guerre ou la paix, et de la remise en cause du droit des peuples, aucun pays, l’Allemagne comprise, ne peut rester neutre, selon elle. 
« Une responsabilité particulière émane de notre histoire, de la culpabilité de l’Allemagne dans la guerre et le génocide. Il s’agit d’être aux côtés de ceux dont la vie, la liberté et les droits sont menacés. Je citerai Desmond Tutu : « si vous restez neutre face à des situations injustes, vous avez choisi le camp de l’oppresseur » ».

En ce qui concerne la Chine, l’Allemagne devra tirer les leçons de la guerre en Ukraine avant qu’un nouveau changement d’époque ne s’impose brutalement dans la mer de Chine méridionale, ou dans le détroit de Taïwan, note le Süddeutsche Zeitung. 
L’Allemagne en effet a tissé des liens économiques particuliers avec la Chine, comme avec la Russie.

Elle doit sérieusement s’affirmer et définir ses propres intérêts. La défense du pays et de ses alliances doit être considérée au même titre que le management des crises dans les autres parties de la planète.  La lutte contre le changement climatique sera également l’un des principaux défis. Les menaces cybers contraindront également à revoir les lignes de démarcations entre la sécurité intérieure et extérieure.
Elle doit assumer sa responsabilité en Europe et abandonner ses réactions de défense « nourries d’ignorance et d’une paresseuse autosatisfaction intellectuelle », commente le Süddeutsche Zeitung. Le précédent président fédéral Joachim Gauck émettait en 2014 à la conférence de Münich le vœu d’une « nouvelle orientation de la politique étrangère allemande ». Avant l’agression de Poutine en Ukraine et l’annexion de la Crimée. Le gouvernement fédéral n’a plus beaucoup de temps pour rattraper son retard. Car l’UE et l’Otan reconsidèrent leur doctrines de sécurité jusqu’à cet été. 

La ministre ne propose rien de très nouveau sur ce plan.
La sécurité de l’Europe dépend toujours de la défense commune de l’Otan, selon Annalena Baerbock. La boussole stratégique doit être une politique de défense et de sécurité européenne de l’UE, complémentaire avec l’Otan.  L’Allemagne devrait s’y intégrer comme ancre de l’Alliance atlantique, partenaire des états de l’Europe de l’est, force constructive et médiatrice.  

« La guerre en Ukraine nous a mis devant la nécessité de maintenir la crédibilité de la dissuasion nucléaire de l’Otan, souligne la ministre ». Ce qui a conduit l’Allemagne à choisir de se doter de chasseur F35," seuls  habilités au portage des têtes nucléaires US stationnées en Allemagne. « Même si notre but reste celui d’un monde dénucléarisé » conclu-t-elle.

Annalena Baerbock souligne que la défense de la sécurité ne pourra pas se limiter aux portes de l’Allemagne dans un monde connecté, justifiant ainsi une défense et un interventionnisme extérieur à venir. 
Elle aborde également longuement dans son exposé la question de la sécurité des sources d’énergie. L’Allemagne est dépendante du gaz russe exploité en Sibérie et distribué en Allemagne et en Europe en partenariat par Gazprom’, Siemens, Basf, via les gazoducs Northstream.

« La Russie a annexé la Crimée il y a huit ans. Nous savions déjà pour bonne part ce dont nous débattons aujourd’hui ». Et pourtant la multiplication des échanges a été choisie avec Northstream II. Le partenariat stratégique avec Gazprom’ reposait sur une dépendance réciproque. L’Allemagne achetait le gaz russe et la Russie dépendait de l’Allemagne pour sa distribution et ses rentrées de devises. Un marché qui ne peut être viable qu’entre partenaires fiables, respectueux des conventions internationales.
Il est évident que ces conditions ne sont plus réunies aujourd’hui. Et ne le seront pas plus à horizon prévisible. L’Allemagne doit donc pour sa sécurité préparer au plus tôt son indépendance vis à vis du gaz russe et son autonomie énergétique reposant sur les énergies alternatives au énergies fossiles.

Le politique de sécurité ne se réduit pas seulement au militaire, à la diplomatie. Les échanges, le commerce, les infrastructures en sont aussi partie prenante estime Annalena Baerbock. Afin de s’affirmer dans les rapports de force du 21è siècle l’Allemagne doit s’appuyer sur sa force économique, son rayonnement, son engagement dans la politique culturelle, le sport , la formation, sa participation dans la politique de développement, l’intervention et la prévention des crises.
Tout cela n’est pas complètement nouveau, mais il faudra également répondre à de nouveaux défis dont celui de la cyber-guerre, notamment dans la conduite des conflits. 

Autant de mesures, militaires, technologiques qu'il faudra intégrer dans un projet de stratégie sécuritaire globale avec la diplomatie, la lutte pour la sauvegarde du climat et l'affirmation de la puissance économique de l'Allemage, au sein de l'Union européenne et de l'Otan.

  
 

Michel Verrier

Author: Michel Verrier

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