Et si l'Allemagne disait stop
Publié le samedi 23 janvier 2016, 12:03 - modifié le 25/01/16 - Europe - Lien permanent
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Fermeture des frontières, établissement d'un nombre limite à l'accueil des migrants, ce sont les deux exigences auxquelles Angela Merkel fait face dans les rangs de son propre parti depuis des semaines. Elle a fait jusqu'à présent la sourde-oreille à ces revendications, plaidant pour une répartition européenne des flux migratoires et valorisant le rôle tampon que peut jouer la Turquie, moyennant finances et promesses de l'Union européenne, face à l'immigration venue d'Irak ou de Syrie.
Une attitude qui irrite au premier chef l'allié bavarois d'Angela Merkel, la CSU et son leader Horst Seehofer, qui voudrait limiter l'accueil en Allemagne en fixant la limite "die Obergrenze" à 200 000 réfugiés par an. « On ne peut pas fixer une limite au droit d'asile des réfugiés politiques, et cela vaut tout autant pour ceux qui viennent de l'enfer de la guerre civile », a rétorqué la chancelière, s'appuyant sur la constitution allemande qui reconnaît le droit d'asile inaliénable pour chaque victime. Il est impossible dans ce cas de fixer un nombre de réfugiés à partir duquel celui-ci ne serait plus effectif.

Un raisonnement contesté cependant par certains juristes, observe Tageschau, magazine d'info de la chaîne ARD. Ulrich Battis, expert en droit constitutionnel estime que chaque droit fondamental doit pouvoir être financé par la société. Une condition qui aurait atteint ses limites en ce qui concerne l'état social allemand, justifiant par la même la revendication des Bavarois de la CSU et de ceux qui militent dans la CDU pour un plafond à l'accueil des migrants.
Mais ce jugement est contredit par l'un de ses confrères, Johanes Masing, qui souligne en quelque sorte qu'un droit inaliénable est inconditionnel, et que s'il dépasse les possibilités de la société, c'est la constitution qui doit être réformée. Il faudrait alors supprimer le droit d'asile des réfugiés politiques tel qu'il est conçu.
Mais est-ce possible ? Sur ce point le tribunal fédéral constitutionnel a déjà émis des jugements contradictoires. Le dernier en date, en 1996, validait la restriction du droit d'asile selon les pays d'origine du demandeur. Les migrants en provenance de pays estimés « sûrs » n'y ayant plus accès (voir sur ce blog la "réforme du droit d'asile"), le tribunal n'excluait pas la suppression complète du droit d'asile de la constitution.
Mais l'esprit même de celle-ci, rédigée après-guerre comme contre-modèle de l'état nazi et de ses conséquences et garantissant des droits intangibles, interdirait en fait sa disparition. Si c'était le cas malgré tout, la convention européenne des droits de l'homme et la convention de Genève sur les réfugiés empêcheraient encore d'ailleurs dans ce cas l'établissement d'un plafond chiffré pour l'accueil des réfugiés. Le droit d'asile étant un droit individuel, il ne peut être mis en cause par un nombre limite à partir duquel on n'ouvrirait plus le dossier des demandeurs d'asile pour les renvoyer chez eux.
Qui est menacé en raison de son ethnie, de sa religion, de sa nationalité ou de ses idées politiques par son propre pays ou par une milice armée a droit à l'asile, souligne le Süddeutsche Zeitung. Et ce serait toujours le cas même après la suppression de l'article 16a de la constitution allemande.
Le respect du droit d'asile n'obligeait pas cependant l'Allemagne aujourd'hui ou demain à l'accueil d'un million de réfugiés. C'est le résultat d'un choix politique. Angela Merkel a « ouvert » les portes de son pays aux réfugiés syriens en particulier pour pallier à la fermeture de frontières des pays de l'est de l'UE tels que la Hongrie de Orban et à l'impossibilité pour la Grèce et l'Italie d'accueillir tous ceux qui débarquent en Europe sur leurs côtes. Elle fait face également aux dérobades de ses pays partenaires, la France en premier lieu. L'Autriche qui a longtemps pratiqué également l'accueil des réfugiés au-delà de ses strictes obligations vient à son tour de « lâcher » Merkel en décidant d'accueillir au maximum 127500 demandeurs d'asile d'ici 2019. Ceci ne signifie pas pour autant que Vienne fait une croix sur les droits de l'Homme et le droit d'asile.
Selon les accords de Dublin en vigueur au début de la crise des réfugiés ces derniers doivent en effet demander l'asile dans le premier pays de l'UE qu'ils touchent après leur fuite. L'Allemagne -et l'Autriche- pourraient donc être fondées à y renvoyer ces derniers. Mais il est interdit d'initier des expulsions en chaîne qui finiraient par ramener les réfugiés dans le pays dont ils se sont enfuis. Un réfugié syrien ayant fui les perquisitions de l'état islamique ne pourrait être expulsé d'Autriche vers la Hongrie puis la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie pour finir par se retrouver renvoyé en Syrie. La cours européenne a jugé par ailleurs que les demandeurs d'asile ne peuvent être expulsé dans un état membre de l'UE dans lequel l'accueil est si défaillant qu'il ne garantit par un traitement « digne ». Ce qui est le cas de la Grèce aujourd'hui.
Der Spiegel on line a envisagé justement les conséquences éventuelles de la fermeture des frontières de l'Allemagne et de l'arrêt de la politique de la chancelière d'accueil des réfugiés. Après une opération « commando » pour bloquer les frontières par surprise afin de ne pas créer une panique qui précipiterait au contraire le flux des réfugiés vers l'Allemagne afin d'arriver avant la fermeture annoncée, les réfugiés seraient bloqués en Autriche qui les expulserait à son tour entraînant l'effet domino sur la Slovénie, la Serbie, la Croatie qui se calfeutreraient à leur tour.
La Grèce serait le dernier domino et ferait face à une catastrophe humanitaire. Athènes est déjà dépassé par le nombre de migrants qu'elle recueille.
Les frontières fermées, la circulation des poids lourds et des véhicules particuliers serait bloquée au sein de l'UE, ou l'Allemagne exporte 70 % de sa production. Les coûts des transports internationaux routiers pourraient s'accroître de 3 milliards d'euros selon un expert de a fédération du commerce extérieur, tandis que nombre d'entrepreneurs pratiquant la production « just-in-time » verraient leur fournitures bloquées sur l'autoroute. Quelles que soient les mesures prises enfin pour bloquer le passage aux postes frontières, les réfugiés finiraient par trouver des voies de passage pour déjouer celles-ci.
Un panorama peu reluisant qui explique aussi pourquoi Merkel n'a pas écouté les conseils de ses alliés de la CDU. Jusqu'ici.