Europe, Angela Merkel prise entre deux feux
Par Michel Verrier, mercredi 15 décembre 2010 à 16:20 :: Europe :: permalien #202
La réplique de l'opposition a été brutale. Elle lui reproche de ne pas avoir encore réalisé la profondeur de la crise et d'avoir transformé l'Allemagne en pays le plus mal-aimé d'Europe, depuis la crise grecque.
Frank Walter Steinmeier (SPD) a proposé à l'inverse d'accélérer l'intégration politique de l'Union européenne par une politique économique et fiscale commune, de renforcer le capital de la BCE, d'accroître le fond de sauvetage de l'euro, d'envisager la création limitée d'euro-bond. Jürgen Trittin pour les Verts a fait le procès du rôle de la chancelière à Bruxelles, ou elle ré-incarne le "teutonische Sparmonster", le "monstre de l'épargne teutonique", sic!
Depuis le début de la crise de l’euro la politique d'Angela Merkel à l'égard des pays en crise de la zone euro est digne du traité de «Versailles sans la guerre » résume brutalement Gabort Steingart, rédacteur en chef du quotidien économique Handelsblatt.
En Allemagne le traité de Versailles incarne l'écrasement du pays après la première guerre mondiale, le terreau sur lequel se développera le nazisme. Aujourd'hui «la chancelière enfonce encore ceux qui sont déjà à terre », insiste Steingart. Elle pratique une politique « à l’opposé de celle des USA à l’égard de l’Allemagne en 1947 ». Lorsque le plan Marshall lui permit de retrouver le bien être. La conciliation avait prévalu alors sur la force, « la chancelière a choisit au contraire d'imposer à la Grèce ses « conditions drastiques ».
Les certitudes vaccillent quelque peu aujourd'hui, ébranlées par la crise financière et les déboires de l'euro. La rigueur à l'allemande, est-elle toujours la solution miracle ? L'épargne forcée, les réductions de salaires, et les coupes sombres dans les budgets pour rétablir l'équilibre, ne risquent-ils pas d'étouffer les victimes, plutôt que de les ranimer?
Débats, polémiques et talk-shows sur le sauvetage de la « zone euro » s'enchaînent et se contredisent sur à peu près tous les sujets. Qu'il s'agisse de l'augmentation du « parachute » de sauvegarde de 750 milliards d'euro, évoqué par le président de la Bundesbank, Axel Weber, et rejetée aussitôt par la chancelière, ou de la contribution des investisseurs et des banquiers à la réduction des dettes -les banques allemandes totalisent 512 milliards de crédits aux pays "fragiles", dont 216 pour l'Espagne.
Les partisans de l'expulsion de la zone euro des pays les plus fragiles, la Grèce ou l'Irlande, prônée au départ par Angela Merkel, ont toujours le verbe haut à Berlin. Mais les défenseurs de la création d'obligations européennes, les euros-bond proposées par le premier ministre luxembourgeois Jean Claude Juncker, s' affichent aussi aujourd'hui.
Les critiques convergent contre la chancelière.
Les « orthodoxes » lui reprochent d'avoir « cédé » à la pression de Bruxelles, en acceptant la constitution du fond de sauvetage de l'euro, et la mise en cause de la règle d'or du « no-bailout », selon laquelle chaque état-membre doit faire seul les frais de ses dettes. Un pilier de la conception allemande de l'euro, ancré dans le marbre de Maastricht.
Partisan affiché de l'euro à l'époque de sa création, Hans Olf Henkel, ancien président de la fédération du patronat allemand, vient de publier une « auto-critique » qui fait fureur : « Rettet unser Gold », « sauvons les meubles » en quelque sorte. Le « no-bailout » remis en cause, le reste va suivre selon lui, et l'Allemagne va finir par payer pour les « Pigs », ce vocable qui désigne avec mépris le Portugal, l'Italie, la Grèce et l'Espagne. La zone euro se transformant alors en « zone de transfert » entre les pays riches et les pays pauvres, transformant alors l'union européenne en une fédération d'états, à l'image de l'Allemagne et de ses 16 Länder.
Hans-Olaf Henkel propose au contraire la création de « deux euros ». Un euro fort emmené par l'Allemagne regrouperait les fidèles de la politique d'équilibre budgétaire, dont l'Autriche, les Pays bas. Un euro faible rassemblerait les pays du sud et la France. Il surfe ainsi sur la vague populiste du repli sur soi et de la nostalgie du D-mark. La monnaie symbole de l'Allemagne d'après guerre qui resterait la solution du dernier recours. Le retour au D-mark « coûterait cher », mais « c'est possible », commente le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
A l'inverse la majorité des Allemands semble avoir définitivement tourné la page ,selon une étude Infratest- dimap publiée par la première chaîne ARD, le 10 décembre.
36% d'entre eux seulement souhaitent le retour du D-mark. Une opinion qui se « concentre dans les couches de la population les moins qualifiées ». 60% tiennent au contraire à la monnaie européenne, 80% même parmi les couches les plus éduquées. « Personne ne peut souhaiter l'éclatement de l'union monétaire assène Wolfgang Gerke, économiste. Les conséquences seraient catastrophique, la zone euro serait totalement disloquée, le protectionnisme ferait sa réapparition, et le tout ne ferait que des perdants. » L'Allemagne est bénéficiaire de l'euro, cette conviction l'emporte aujourd'hui. Les titres et invectives du quotidien populaire Bild contre les pays « en faillite », les Grecs par exemple, depuis le début de la crise, ont fait sensation, sans plus. La crainte de voir à nouveau l'image de l'Allemagne se détériorer en Europe travaille l'opinion aujourd'hui. On s'inquiète du profil affiché par la chancelière qui paraît incarner une » Europe allemande », au lieu de l'« Allemagne européenne », chère à Kohl, ou à Wolfgang Schäuble, le ministre des finances, le père de cette idée du « noyau européen » intégré rassemblé autour de Paris et Berlin.
Autant d'interrogations, de revirements qui expliquent pourquoi Angela Merkel ne tire aucun profit en Allemagne de son profil de « chancelière d'acier », affiché ces deux dernières années à Bruxelles. La cote de son gouvernement n'a jamais été si basse. Il est devancé aujourd'hui de vingt points dans les sondages par les partis de l'opposition, le SPD, la Gauche, et les Verts. Ces derniers attirent aujourd'hui dans les grandes villes, une part des électeurs de la démocratie chrétienne, heurtés par la politique de « diktats » d'Angela Merkel à Bruxelles.
Leur mécontentement s'additionne avec celui des partisans de la politique d'équilibre budgétaire à tout prix, qui reprochent au contraire à la chancelière d'afficher sa fermeté face aux mesures proposées par ses partenaires européens à Berlin, avant de céder à reculons à Bruxelles.
Pris entre les deux feux, la chancelière a choisi de rassembler les conservateurs, parce qu'elle se prépare à une année électorale 2011 qui s'annonce très difficile. Elle va donc camper sur les positions qui heurtent ses partenaires européens.
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