Les faux comptes xénophobes de Thilo Sarrazin
Par Michel Verrier, dimanche 16 janvier 2011 à 14:15 :: société :: permalien #207
Sarrazin s'inquiète ainsi du handicap culturel « héréditaire » que se transmettraient les immigrés de la première à la troisième génération. Huit pour cent seulement des Turcs vivant en Allemagne auraient atteint le niveau de l'Abitur (le « bac », la « maturité »), selon lui, tirant ainsi le niveau général de la société allemande vers le bas.
Or 22,4% des turcs d'origine, membres de la seconde génération de l'immigration et scolarisés en Allemagne ont obtenu ce diplôme au contraire précisent les statistiques du ministère de l'intérieur -28,5% même en ce qui concerne les jeunes d'origine musulmane en général-, pour une moyenne en Allemagne de 24,4%. 3% seulement des immigrés turcs de la première génération détenaient un tel diplôme.
Il faut noter que les jeunes dont les familles sont issues de pays tels que l'Irak, l'Afghanistan, l'Iran, ont de meilleurs résultats d'ailleurs que ceux dont les familles sont originaires de Turquie. Les jeunes musulmans chiites (43%), obtiennent plus souvent l'Abitur ou le diplôme d'examen professionnel supérieur que les sunnites (32,8%). Mais comme le soulignent les universitaires cela tient notamment à l'environnement social. Les familles chiites originaires de l'Iran possédaient déjà à leur arrivée en Allemagne un niveau scolaire supérieur à celui des familles d'ouvriers turcs venus participer dans les années soixante à la croissance de l'industrie allemande. L'importance respective des communautés, la sélection sociale -qui vaut aussi pour les familles originaires de l'immigration- font le reste et expliquent ces diversités.
Le supposé « manque d'enthousiasme » des Turcs et des Arabes à apprendre l'Allemand, que dénonce Sarrazin, est également démenti par les universitaires qui citent une étude de l'institut Allensbach à ce propos. Soixante dix pour cent Turcs parlent « très bien » (37%) ou « bien » l'Allemand (33%). Un résultat certes moins bon que les Polonais, avec 88%, ou les Grecs, 72%., mais qui est loin de constituer un mur qui enfermerait la communauté originaire de Turquie dans son ghetto.
L'auteur de « l'Allemagne se liquide elle même » assure par ailleurs que les « traditions culturelles » des pays d'origine freinent l'intégration, écartent les jeunes musulmanes du sport à l'école et de la piscine, tandis que le port du foulard, lui, va croissant. Or 90% des jeunes concernés participent au contraire aux activités sportives selon les statistiques officielles, qui n'évoquent des problèmes rencontrés que dans 7 à 10% des cas.
Soixante dix pour cent des femmes de la seconde génération, de seize ans et plus, n'ont jamais porté le foulard. Dix-sept pour cent environ le portent « toujours », contre 25% en ce qui concernent les femmes de la même catégorie d'âge de la première génération. Entre les deux c'est la proportion de celles qui le portent « parfois », 11,5%, qui s'est accrue au dépend du port du voile "toujours", indiquant ainsi une tendance inverse à celle que décrit Sarrazin.
Les médias ont accueilli avec intérêt l'étude des universitaires. Elle replace sur ses rails le débat sur l'avenir de l'Allemagne et le rôle des immigrés, qui partage la société allemande depuis la parution du bouquin de Sarrazin. Le syndicat de la métallurgie, l'IG Metall, recommande à ses adhérents la lecture de leurs analyses. La professeur Neika Foroutan est notamment chargée de recherches finances par la fondation VW, concernant "l'identité hybride musulmane et européenne".
Il faut certes toujours manier les statistiques avec prudence. La réalité est parfois plus complexe que des proportions. Le Frankfurter Allgemeine Zeitung, reproche ainsi aux universitaires berlinois d'avoir choisi les statistiques qui les arrangent pour contrer les affirmations de Sarrazin. Le quotidien libéral de Francfort est cependant victime lui même de ce défaut. Il ne cite pas, à l'inverse de ses confrères, l'un des redressement statitistique des universitaires berlinois qui est sans doute le plus ravageur quant à la réputation de Sarrazin.
Les chercheurs de l'université Humbold ont vérifié en effet auprès de la police ses affirmations selon lesquelles : « 20% des délits sont commis par 1000 jeunes turcs et arabes à Berlin». Le président de la police berlinoise leur a répondu que « les données de la police criminelle ne sauraient justifier les assertions de monsieur Sarrazin ».
Ce sont 8,7% des délits qui sont commis par des personnes originaires de Turquie ou des pays Arabes, précise-t-il, 13,4% si l'on ajoute les « nationalités inconnues » qui peuvent être originaires des pays et régions concernés.
Un constat qui démontre implacablement l'amateurisme avec lequel Sarrazin a rédigé son livre, sans même vérifier ce qu'il avance.
Les centaines de milliers de lecteurs de son ouvrage qui sont persuadés y avoir trouvé la vérité se sont fait avoir sur la marchandise.
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