vendredi 29 mai 2009
Retour sur la polémiques à propos du policier Kurras, de la Stasi et de la mort de Benno Ohnesorg
La mort de Benno Ohnesorg le 2 juin 1967, fut le signal d'un durcissement de la révolte étudiante qui parcourait déjà la République fédérale et donnera naissance à la "révolution" dans les facultés, le mai 68 allemand.
Le policier qui a abattu le jeune manifestant lors de la manifestation contre la visite du Shah d'Iran à Berlin, Karl-Heinz Kurras, incarnait pour la génération de 1968 la face détestable d'un régime aux dérives fascistes. Les révélations des documents d'archives de la Stasi, indiquant qu'il était membre de la police politique de l'ex-Allemagne de l'Est, "à la solde donc du régime communiste de RDA", brisent donc cette image. Helmut Müller-Enbergs est historien. Il a travaillé sur les documents d'époque et ne cache pas sa surprise rapporte la Deutsche Welle.
« Ça m'a renversé. Je n'avais jamais été confronté à ce genre d'informations. J'avais déjà vu passer des tas de choses, mais alors là …Un policier qui occupe une position clé à Berlin-Ouest et qui reçoit une arme des mains de la Stasi, un pistolet automatique P38…Non, je n'avais jamais vu cela, en 17 ans de travail aux archives… »
« Ça change tout estime de son côté Stephan Aust, ancien directeur du Spiegel, dans les colonnes du Hamberger Abendblatt. Car les étudiants à l'époque ont cru naturellement que l'état (ouest allemand ndt) tirait sur les gens... Qu'un représentant de l'état sorte son arme et tue un étudiant lors d'une manifestation provoqua un traumatisme énorme, profond. La colère était telle qu'elle enflamma le mouvement. Le « mouvement du 2 juin » s'est donné ce nom en mémoire d'Ohnesorg. Si on avait su alors que l'auteur du tir était un représentant de l'état adverse cela aurait modifié le jugement des étudiants de fond en comble."
A l'inverse de Stephan Aust, Otto Schilly, ancien ministre du gouvernement de Gerhard Schröder et qui fut l'avocat de la Fraction armée rouge, estime que cela n'aurait pas changé grand chose. Si le Bild Zeitung avait titré à l'époque qu'un espion de la Stasi avait tué l'étudiant Ohnesorg, cela aurait évidemment fait sensation. Mais le mouvement étudiant était déjà critique à l'égard de l'ex RDA. Schilly raconte qu'il participera ainsi à une manifestation contre l'écrasement du printemps de Prague par les chars soviétiques.
Rudi Dutschke, le leader du mouvement étudiant berlinois aurait été le dernier surpris par la révélation de l'appartenance de Kurras à la Stasi, explique quant à lui Peter Schneider, animateur du mouvement des étudiants dans le Spiegel. Il avait fui lui même l'ex RDA après avoir refusé de faire son service militaire dans la Volksarmee, l'armée du peuple et il ne supportait pas le gel des libertés de penser et de critiquer derrière le mur. Grièvement blessé en 1968 lors d'un attentat il décèdera en 1979 des suites de ses blessures. Il avait laissé une lettre à sa famille qui ne devait être ouverte qu'après sa mort.
« Elle était adressée à ma mère raconte Marek Dutschke, son fils, dans les colonnes du Süddeutsche Zeitung. Et elle a pu lire que mon père était persuadé que la Stasi n'avait cessé de le poursuivre et de l'espionner et présumait même que la police secrète allemande avait inspiré l'attentat perpétré contre lui ». Dutschke pensait que les dirigeants de l'ex RDA redoutaient le développement du socialisme anti-autoritaire pour lequel il militait. « Mon père venait de l'est et savait très bien ce que redoutait le régime au pouvoir à Berlin est. Chacune de ses visites dans son pays natal était surveillée au millimètre et l'on trouve dans les archives de la Stasi des analyses selon lesquelles Rudi Dutschke représente un danger pour la RDA.
Il militera personnellement pour la réunification des deux Allemagnes et se fit ainsi des ennemis dans les rangs de la gauche allemande liée à la RDA à l'époque, le DKP par exemple, parce qu'il ne considérait pas l'Allemagne de l'est comme la bonne Allemagne.
Marek Dutschke revendique un examen plus poussé des archives de la Stasi et s'étonne que les documents exploités jusqu'ici soient plutôt « légers », en comparaison de ce que vient de révéler l'examen des dossiers sur la mort de Benno Ohnesorg et des liens de Kurras avec la police d'état est allemande. « Je crois que tous les dossiers concernants Dutschke n'ont pas été exploités souligne-t-il. » L'histoire du mouvement étudiant berlinois et le travail des services secrets reste encore à éclaircir, nombre de questions restent posées estime-t-il. »
L'affaire Kurras a valu à Marianne Birthler la conservatrice des archives de la Stasi, le reproche de limiter l'examen des actes des services secrets est allemands concernant l'ouest de l'Allemagne. Le député Arnold Vaatz (CDU), opposant au régime dans l'ex RDA, estime que certains collaborateurs des archives de la Stasi sont partisans. Nombre d'indices prouvent que la Stasi se souciait de stabiliser les organisations d'extrême gauche à l'ouest. Que nombre d'anciens membres de l'opposition extra-parlementaire de l'époque soient aujourd'hui actifs dans le dépouillement des archives est donc un problème. Celles-ci devraient être versées aux archives officielles et leur exploitation laissée aux historiens.
Le président du Bundestag, Norbert Lammert (CDU) estime même que l'influence de la Stasi au sein même du parlement ouest-allemand devrait être éclaircie sans retard vingt ans après la chute du mur. Le cas Kurras démontre qu'aucune surprise n'est à exclure soulignait-il lors de la remise du rapport d'activités des archives de la Stasi par Marianne Birthler au Bundestag, rapporte le Berliner Zeitung. Un souhait partagé par Arnold Vaatz, comme par Stefan Hilsberg du SPD. Carl Ludwig Thiele du FDP, le parti libéral, estime que l'affaire Kurras n'est que le sommet de l'iceberg. Les Verts souhaitent également que toute la lumière soit faite sur l'enracinement de la Stasi à l'ouest de l'Allemagne à l'époque. Et «personnes ne peut s'opposer à l'examen scientifique des archives de la Stasi, s'il ne s'agit pas avant tout de faire la chasse aux sorcières, estime Bodo Ramelow, vice président du groupe parlementaire de Die Linke au Bundestag.